Noël au balcon

Devenu grand, vers dix ans, on allait au balcon, pour ne pas être avec les parents. Ça fait longtemps que les cinémas n'ont plus de balcon. Pour Noël (2013), on a eu Une Chambre en Ville, un heureux événement (le plus important depuis que l'homme...) après une gestation longue et difficile. Trente ans comme l'amitié. Une ébauche de roman au début des années cinquante devient un scénario repris vingt ans plus tard. Retrait du fidèle Michel Legrand, de Catherine Deneuve qui voulait garder sa voix, de Gérard Depardieu qui voulait Catherine Deneuve. Encore dix ans et, dans l'euphorie qui suit l'élection de François, tout s'arrange. Christine Gouze Rénal, sa belle-sœur, produit le film.

Jacques Demy, le cinéaste arc-en-ciel, noir comme jamais, nous emmène, après Cherbourg et Rochefort, à Nantes. Nantes retrouvée.

Le film s'ouvre sur un long plan fixe de Nantes derrière le pont transbordeur sur la Loire. Le pont a alors été détruit et une photo sur verre est intercalée au premier plan (glass shot). Le générique défile. C'est le même genre de pont qui excitait tant Hitchcock dans les 39 Marches puis avec insistance dans Vertigo.

C'est une tragédie, dans un appartement et sous les fenêtres de cet appartement dans la rue entre cathédrale et préfecture, en deux ou trois jours, une histoire d'amour à mort à l'occasion d'un conflit social, un
aéroport ou peut être plutôt un chantier naval.

L'identification est difficile. Le héros nantais, homme de fer, métallurgiste, un vrai campagnard, plaque la gentille vendeuse tout juste grosse de ses œuvres pour une Vénus nue sous la fourrure du début à la
fin du film, Dominique Sanda glaciale, mariée à Michel Piccoli, rouquin carotte (les derniers dont on puisse se moquer impunément) en costard vert, laid comme jamais, que l'on voit sortir des cabinets pour être humilié par sa femme et se trancher les carotides. La belle-mère (Danielle Darrieux) mariée à un roturier n'est plus baronne mais colonelle, le colonel a eu l'élégance de se faire tuer au Mali, en Indochine ? Celui ou celle qui épouse aujourd'hui une colonelle le devient-il ? La colonelle abuse du gros-plan.

Le héros a le crane fracassé sur le pavé par la flicaille-racaille, l'héroïne s'envoie ad patres avec le pistolet paternel.

La critique est unanime, l'As des As de Gérard Oury fait cinq millions et demi d'entrées dans l'année. Polémique ; un peu plus tard , Marguerite Duras écrira dans Libération que le public ne rate jamais le génie à longue échéance...Trente ans plus tard, pour Noël 2013 (facétieux j'ai aimé écrire ce millésime à la 6, 4, 2, mais c'est fini) Les Studio auront vendu 250 places sur 3000 ! Que de places perdues pour ces pauvres habitants de Tours-nord qu'il n'est pas raisonnable de priver. Ils sont privés de quoi ?

Patrick Caillot