Film d'Ermanno Olmi réalisé en 1959.

Outre la présentation aux Tourangeaux de l'actualité du cinéma italien, Les Journées de février 2014 ont permis, grâce à la Cinémathèque de Bologne, de découvrir le film restauré d'Ermanno Olmi, Le temps s'est arrêté, son premier long-métrage qui, à ma connaissance, n'a jamais été reprogrammé dans le circuit commercial en France depuis 1959. Ce film charnière se situe au moment où Olmi passe du documentaire à la fiction, c'est-à-dire au moment précis où le cinéaste cède à la tentation du récit après avoir été un des plus parfaits représentants d'un cinéma didactique qui devait beaucoup à Rossellini. (Il y reviendra d'ailleurs régulièrement au cours de sa carrière avec des courts-métrages ou des télé-films).

Il faut noter que ce film fut tourné avec le même système de production que ses films précédents, avec un financement par la compagnie EdisonVolta dont il était alors un salarié. Il évoquera souvent cet épisode qui lui aura ouvert les portes du monde cinématographique italien.

La redécouverte de ce premier film de fiction a permis de répondre a la question : comment et avec quelles armes artistiques le virage intellectuel pris par Ermanno Olmi pouvait s'accomplir dans un contexte où le cinéma européen évoluait du classicisme narratif d'avant-guerre vers une nouvelle représentation du récit dont les fondements reposaient, pour une grande part, dans les procédés du néo-réalisme.

Et c'est précisément en s'appuyant sur son expérience de ''documentariste'', où la construction rigoureuse et la volonté pédagogique est essentielle, qu'Olmi allait bâtir son œuvre. Cette modestie d'approche indispensable, cet aspect descriptif des hommes et des lieux, cet amour profond du peuple au travail, son attachement à la terre, (comme il le soulignait lui-même : voir l'extrait publié dans Cinéfil n° 30), resteront toujours les points de repères essentiels de son œuvre et de la richesse humaine qui s'en dégage, avec ses souffrances et son intense volonté de vivre.

Cet atavisme professionnel, dont il restera un représentant obstiné tout au long de sa carrière (qui n'est pas terminée), constituera l'élément essentiel de son travail pédagogique, et un objectif récurrent de sa vie que l'on constate et admire dans les mises en place des différentes écoles de cinéma qu'il a crées ou contribué à créer, et dont l'enseignement ne se limitait jamais au seul apprentissage du cinéma, mais voulait aussi faire découvrir la valeur du regard de l'artiste. (Voir l'exposé de G.L. Farinelli dans un prochain numéro)

Le temps s'est arrêté, malgré un budget des plus modestes, est l'esquisse parfaite de toutes les valeurs qui allaient être développées dans ses films postérieurs et s'inscrit comme la première étape d'une œuvre, sans cesse remarquable, dont il possède la totalité des qualités.

La précision de sa mise en scène, la façon dont chaque image s'inscrit dans une continuité vivante font que chaque geste, chaque attitude, sont les expressions d'une symbiose totale entre le personnage et le milieu qui l'entoure. Chaque mouvement des acteurs acquiert une signification métaphysique qui constitue un véritable hymne à la vie. Ce mélange de Dreyer et de Bresson prend une acuité supplémentaire grâce à l'amour véritable qu'Olmi porte à ses personnages. Rarement au cinéma la ''vérité'' d'un personnage n'est apparue aussi évidente que dans l'œuvre d'Olmi. Et Le temps s'est arrêté n'échappe pas à cette règle !

L'intrigue est linéaire, aussi claire que l'épure d'un peintre, mais elle génère cette fascination qu'on peut éprouver en contemplant l'image de la vie chez une colonie de fourmis. Elle fait retrouver l'étrange sensation d'assister à quelque chose de merveilleux comme lorsque l'enfant scrute avec une curiosité primaire les agissements d'une fourmilière en construction.

Cette histoire de deux êtres, finalement pas si dissemblables que cela, cette linéarité naturelle, semble si authentique que le spectateur est totalement associé au morceau de vie qui lui est présenté, associé au plaisir furtif du temps qui passe et à son déroulement, à la marche naturelle de l'existence qui de banale, passe par le miracle d'un acte d'assistance, au sublime. Ces ''figures de cinéma'' sont avant tout des hommes, filmés comme tel.

La prise de vue fait mesurer combien il est rare, dans le cinéma moderne et en couleur, que la lumière d'une lampe prenne sur l'écran une valeur aussi importante, qu'on en sente aussi bien sa chaleur que sa clarté, qu'elle soit aussi réellement présente. La caméra d'Olmi est réaliste comme la magie ! Cette densité des objets usuels sera primordiale dans L'arbre aux sabots et en deviendra même l'élément de base.

La neige est, bien sûr, un élément prégnant de la vie montagnarde, une sorte de décor naturel qui enserre ces deux hommes comme un manteau luxueux aux charmes humides et glaciaux. Elle est la montagne elle-même, qui peut se transformer au gré du temps et apparaître comme un terrain de jeux matinal avant de devenir un suaire potentiel une fois la nuit tombée dans une froideur caligineuse.

Et puis le vent, qui, comme chez Sjöström, occupe soudain le premier rôle et va jeter sur ces hommes simples une malédiction, qui pourtant, n'est jamais qu'une simple composante de ces montagnes qu'on croit connues et ne sont toujours qu'une somme de dangers.

Point de mystère dans les relations ordinaires de ces hommes ordinaires que seules différencient une génération et quelques habitudes du temps. L'estime qu'ils vont avoir l'un pour l'autre n'est pas le résultat d'une série de péripéties extraordinaires ou d'une confrontation dramatique pour une femme, un trésor ou je ne sais quoi, mais tout simplement des conditions de leur communauté bâtie autour des choses de la vie quotidienne. Que l'un se dévoue pour sauver l'autre par un acte élicite n'est pas la conséquence d'un comportement héroïque dicté par un scénario palpitant mais une simple justification de leur raison d'être.

Était-il possible qu'il en fût autrement ?

Olmi est un Maître ! Son cinéma touche au plus profond de nous-même, avec une évidence naturelle, par le regard d'amour qu'il porte sur ses personnages et par l'expression d'un art aussi enraciné dans la beauté de la vie que dans sa certitude d'être universel.

Alain Jacques Bonnet