Gian Luca Farinelli est directeur de la Cinémathèque de Bologne depuis 14 ans.
Ce texte est la transcription de l'allocution prononcée par G.L. Farinelli lors de sa rencontre avec la presse le 10 février 2014. Certaines formulations ''italiennes'' ont été restituées en ''français'' pour une meilleure compréhension de ses propos.

La Cinémathèque de Bologne n'est pas une grande Cinémathèque mais elle est très active. Bologne n'était pas une ville de tradition cinématographique avant-guerre, mais elle a pris, dès la fin des années 40, une importance certaine grâce à l'action du maire de l'époque, Renato Zangheri, qui réunit autour de lui des intellectuels désireux de faire de Bologne une belle cité de culture.

Le premier ciné-club de la ville fut fondé au début des années 50 sous l'impulsion de Roberto Longhi, grand historien de l'art, puis Renzo Renzi en prit la direction. Il fut le premier à réunir une collection adulte de l'édition cinématographique, diffusée d'abord à Bologne puis dans toute l'Italie. Il s'agissait d'une série de livres sur le cinéma qui s'appelait ''Du scénario au film''. Renzi connaissait énormément de cinéastes italiens et suivait, ou faisait suivre, les films en cours, depuis l'idée première jusqu'au tournage. Les livres pouvaient donc sortir en même temps que les films d'où leur remarquable et constante actualité. Ils demeurent en cela exceptionnels par la qualité des témoignages apportés. Ils furent d'ailleurs édités en France.

Dans les années 60, la mairie, poussée par un groupe d'intellectuels, eut l'idée de créer une commission pour le cinéma dans le but de constituer une véritable cinémathèque. En 1968 fut créée la première salle d'Art et Essai de toute l'Italie, qui fut placée sous la direction de Luigi Pizzi. Tous ces intellectuels continuèrent à travailler ensemble et firent naître La Cinémathèque de Bologne en 1974. Vittorio Boarini fut l'un de ces intellectuels fondateurs.

En 1982 la Cinémathèque de Bologne a récupéré une salle de projection et a pu ainsi vivre sa véritable vie : faire connaître et diffuser les films dont elle disposait dans ses collections.

En ce qui me concerne, je dois dire qu'à l'époque de sa création, en 1974, je pensais devenir metteur en scène. J'avais alors tourné quelques courts-métrages, quelques documentaires (Je suis d'ailleurs venu à Tours au début des années 80 présenter un film dans le cadre d'un festival Henri Langlois).

Ces réalisations ont été mes ''Universités'' et m'ont appris comment faire des films, connaître la matière du film, la technique de la mise en scène et la production. Tout cela avant de comprendre que ce n'était pas mon métier.

J'ai commencé à travailler pour la Cinémathèque de Bologne très jeune, au début des années 80, comme assistant à la programmation, puis j'ai découvert qu'elle possédait une petite collection d'une centaine de films en 35 mm, dont certains en nitrate. En 1987, inspiré par le Festival de Pordenone, festival de films muets qui venait de commencer, nous avons décidé de créer notre propre Festival à Bologne que nous avons appelé ''Il Cinema Ritrovato'', pour exposer le travail de notre cinémathèque et montrer les films que nous possédions et que nous rêvions de voir dans une bonne version.

Pour sa première édition nous avons invité deux autres cinémathèques municipales, celle de Luxembourg et celle de Munich.

Ces Cinémathèques étaient dirigées à l'époque par deux grandes personnalités, Fred Junk à Luxembourg et Enno Patalas à Munich. Patalas est à l'origine des premières grandes restaurations des classiques du cinéma muet. C'est à lui qu'on doit la restauration de Nosferatu, de Métropolis, des premiers films de Lubitsch, de Lang, de Murnau, etc. Ce fut un maître pour nous tous.

Les deux hommes étaient complémentaires : Junk était un collectionneur et ne portait aucun intérêt à la restauration mais il possédait déjà une collection extraordinaire de films anciens. À cette époque aucune Cinémathèque au monde ne pouvait présenter une rétrospective complète d'un cinéaste sans avoir recours à cette collection.

Lors de la 3ème édition de notre Festival, nous avons constaté qu'il y avait une grande différence entre l'Italie et les autres pays européens. Cela tenait à l'importance acquise par les différentes cinémathèques selon le travail qu'elles effectuaient. Munich avaient déjà développé les pratiques de restauration, ce qui en Italie n'existait pas.

C'est pourquoi nous avons lancé un laboratoire comme école pour, nous aussi, faire de la restauration. En 1992 le projet s'est concrétisé et en faisant appel à tous les grands spécialistes de la restauration en Europe et avec l'aide des techniciens des laboratoires italiens nous avons formé un groupe de gens capable de travailler dans ce domaine. Notre laboratoire s'appelle ''L'Immagine Ritrovata'' et c'est Davide Pozzi qui en est le Directeur.

Bien sûr, comme nous n'avions aucune expérience, les premières restaurations furent assez mauvaises, mais dès l'année suivante, en 1994, nous avions atteint un très bon niveau de qualité. Cette année-là, avec le concours de la FIAF (Fédération Internationale des Archives du Film) nous avons pu présenter une vingtaine de films italiens restaurés.

Le cinéma muet italien fut extrêmement important à son époque, de 1900 à 1930, et une grande partie de notre travail fut consacrée à retrouver les différentes versions des films pour les restituer dans leur intégralité, avec leurs intertitres d'origine, éventuellement leur musique et leurs couleurs.

Je crois que nous avons démontré que notre Cinémathèque, encore jeune, avait quelque chose à dire et à montrer.

Une des grandes étapes de notre évolution date du début des années 90 lorsque nous avons obtenu l'accord de la famille Chaplin pour restaurer, cataloguer et digitaliser toutes les archives, images et papiers, détenues à Paris. Nous avons émis l'idée que bien que plus de la moitié des films de Chaplin ait déjà été restaurée, nous pouvions, avec les machines et les procédés modernes, les produits nouveaux et notre savoir-faire, leur donner un nouveau visage. Nous avons commencé à travailler sur Le Kid, à nos frais, et à la fin de l'année nous avons pu en présenter une nouvelle version, magnifique.

Peut-être la famille Chaplin avait-elle davantage confiance en une petite cinémathèque municipale plus qu'en un organisme d'état et comme ils étaient satisfaits de ce premier travail, nous avons poursuivi notre relation et, aujourd'hui, une quinzaine d'années plus tard, avons restauré et digitalisé la plus grande partie de l'œuvre de Chaplin et l'intégralité des films ''National''. Mais il reste encore quelques films à restaurer et nous allons sortir, pour le centenaire de Charlot, l'intégralité des films ''Mutual''.

Autre étape importante, c'est l'achat de machines nous permettant de passer au digital et de lancer de nouveaux grands projets de restauration.

La Cinémathèque est devenue une fondation (avec la mairie comme associé principal). Nous détenons aujourd'hui 60 000 films et nous avons 2 salles de projection, une salle de ciné-club et une salle ''art et essai'' dans lesquelles nous passons chaque jour 4 films différents. Nous assurons aussi, pour le jeune public, une formation dans les écoles - 20000 jeunes sont concernés- et nous avons maintenant une maison d'édition qui édite une vingtaine de livres et de DVD par an, qui sont tous des morceaux de l'histoire du cinéma.

Enfin nous avons changé la date de notre festival. Nous sommes passés de l'hiver à l'été ! Cela nous permet de sortir de nos propres salles et de projeter les films dans d'autres cinémas de la ville ainsi que sur la Piazza Maggiore, la grande place de Bologne qui date du Moyen-Âge, et qui est le centre de la ville. Nous pouvons passer les grands classiques du cinéma, restaurés ou non, avec des accompagnements d'orchestres ou simplement de pianistes ou d'autres musiciens.

Nous avons également lancé un nouveau secteur d'activité : la distribution de films. Pas seulement les nôtres, mais aussi ceux restaurés par d'autres Cinémathèques - y compris des productions hollywoodiennes - non seulement à Bologne mais aussi dans d'autres villes.

En effet, il n'y a pas en Italie une tradition de programmer des films anciens. C'est une nouvelle possibilité que nous offrons aux jeunes de voir les grands classiques du cinéma dans une version correcte.

Pour cela, le passage au digital a été essentiel car il a permis de diminuer les frais concernant le tirage des copies. Aujourd'hui, la plupart des salles de cinéma en Italie sont équipées pour passer les films en système ''digital''.

Nous avons commencé avec 24 salles pour ce projet un peu ''kamikaze'' mais aujourd'hui, pour la saison 2013/2014, c'est presque 80 salles qui participent.

Donc, vous voyez que nous sommes encore là aujourd'hui avec beaucoup de gens fiers de participer à tous les travaux que nous entreprenons. Nous ne nous arrêtons pas et poursuivons un défi continu !

Je crois sincèrement que les Cinémathèques peuvent jouer un rôle important dans la formation du public, national bien sur mais aussi mondial. Nous restons en équilibre entre le passé et présent car il n'y a pas que le cinéma du passé il y a aussi le cinéma d'aujourd'hui. Il y a des films modernes avec des cinéastes intéressants qui n'arrivent pas à se faire connaître. Nous menons aussi une bataille pour la ''version originale'' car vous savez qu'en Italie les films sortent toujours doublés. Mais il existe un jeune public désireux de connaître les films dans leur réelle version originale, sous-titrée éventuellement.

(A suivre)

Gian Luca Farinelli

Directeur de la Cinémathèque de Bologne