Le magicien des pellicules

La semaine d'avant, il présentait les dernières restaurations des films de sa société Lobster à Shanghai. Ce soir-là il est de passage à Tours. Le phénomène Serge Bromberg est venu ouvrir de belle manière la saison de la Cinémathèque, tel un prestidigitateur qui sort de son chapeau... des pépites du cinéma !

Aurélie Dunouau : Vous étiez déjà venu il y a deux ans à la Cinémathèque de Tours présenter des films de Chaplin et cette fois-ci vous avez choisi quelques-uns de ses tous premiers films pour fêter son centenaire. C'est votre grand œuvre ?

Serge Bromberg : En réalité, j'ai dédié les dix dernières années de ma vie à la recherche, la collecte et la restauration des courts métrages de Chaplin dont on a tous le sentiment qu'on a les vus 50 000 fois. Mais en fait, ce qu'on a pu voir n'est souvent pas de très bonne qualité au niveau de l'image et, de plus, les copies originales de beaucoup de ces films n'ont pas été conservées. Elles ont généralement disparu, et personne n'avait fait le travail de collecte, de recherche et de restauration. Aujourd'hui, les technologies nous permettent de restaurer les films pratiquement dans leur intégralité originelle et nous permettent d'effectuer de bonnes restaurations, c'est-à-dire celles qu'on ne voit pas.

On s'est dit, il y a une dizaine d'années, avec la Cinémathèque de Bologne et l'Association les Enfants de Chaplin, qu'on allait parcourir le monde, regarder les dizaines de milliers de copies qui survivent, identifier parmi celles-ci les plus proches des négatifs originaux qui souvent n'existent plus, et à l'arrivée, restaurer les films une fois pour toute.

Ce que vous allez voir aujourd'hui c'est une nouvelle version de The Nigth in the Show et c'est aussi les premières projections mondiales sur grand écran de nos restaurations de The Bank et de The Rink. Rien que ça !

A.D. : La première étape de votre activité, via la société Lobster, correspond à la recherche des copies. Que cherchez-vous en ce moment et que rêvez-vous de trouver ?

S.B. : En ce moment, on est plutôt calme. .. Chez Lobster, je ne suis pas tout seul même si cela a commencé sur une passion personnelle. On est une société structurée, qui fait de la production, de la distribution, de la restauration... et qui regroupe une quinzaine de personnes.

Ma préoccupation aujourd'hui n'est plus de retrouver des films de Chaplin car cela vient de se terminer avec le dernier, The Nigth out, mais je viens de racheter un catalogue de films RKO qui compte 850 films. On est propriétaires du fond et des négatifs.

Pendant les six prochains mois, mon problème sera de voir ce qui va survivre de ces 850 films et j'aime autant vous dire qu'il ne devrait pas en rester grand-chose !

Parmi ces films, nous avons, entre autres, le négatif de Citizen Kane, considéré comme un des plus grands films au monde, et qui, a priori n'existait plus. Le problème c'est que ces originaux ont beaucoup circulé.
Pour les recherches, il faut savoir qu'en 1966, tous les négatifs disponibles ont été déposés à la Librairie du Congrès. Mais il faut voir quels négatifs étaient disponibles, lesquels avaient échoué dans des labos ou avaient été saisis par les douanes !

Dernièrement il nous est arrivé un truc incroyable : nous avons retrouvé un négatif original de A Farewell to Arms (L'Adieu aux armes) de Franck Borzage avec Helen Hayes et Gary Cooper, diffusé l'an dernier sur Arte. On l'a restauré et depuis, on vient de trouver une fin différente, grâce au British Film Institute, où l'héroïne ne meurt pas mais où les deux vedettes repartent main dans la main... Personne n'avait jamais entendu parler de cette fin-là, c'est incroyable !

Tout ça pour dire que, pour le moment, j'ai un peu ralenti sur la recherche des films anciens. Même si je viens aussi d'identifier un Méliès perdu aux Etats Unis. Un coup de chance. On a également retrouvé le deuxième film d'Emile Cohl : Le cauchemar du fantoche (1908) le premier dessin animé de l'histoire du cinéma sur eBay ! Je l'ai payé 7 euros...mais avec 10 euros de frais de port...

A mon avis, rien qu'en France, il doit y avoir pas mal de greniers, d'églises, d'endroits improbables, où il reste des trésors. Beaucoup de films ont été perdus, leur nombre est incroyable, à nous de les retrouver !

A.D. : La 2ème étape est celle de la restauration. Quel sont vos projets ?

S.B. : L'événement c'est la restauration d'un film avec Franck Sinatra. On a eu la chance de tomber par hasard, dans un laboratoire américain, sur le négatif original de Suddenly (Je dois tuer) de Lewis Allen qui date du milieu des années 50. Mais la qualité de l'image est à crier au secours !

On enchaîne ensuite sur L'Inhumaine de Marcel L'Herbier dont on reprend les négatifs originaux. La première projection aura lieu au Châtelet, à Paris, le 30 mars 2015.

A.D.: Comment conservez-vous ensuite les films que vous avez restaurés ?

S.B. : J'achète les droits. Je les dépose aux archives nationales, dans les cinémathèques, la librairie du Congrès, etc.

Mais, après-tout, peut-être est-il dans l'ordre des choses que tout se perde...

Je voudrais cependant que mes enfants, mes petits-enfants et mes arrières petits enfants puissent voir dans de bonnes conditions les films que j'ai aimés. Il faut donc des agitateurs comme moi qui ressortent ces films, qui vieillissent...

A.D. : L'étape ultime : la diffusion. Vous montrez les films comme de véritables shows !

S.B. : Trouver est un moyen, restaurer est un moyen, mais au final c'est pour les montrer ! Si je fais des émissions télévisées c'est pour les montrer ; sur ''Ciné Classic'' je montre des films parce que je crois à la permanence du cinéma ; pour les jeunes, dans les années 90, c'était parce que je ne voulais pas qu'ils ne voient que de la m... !

Mon truc c'est le partage. Soyons clair, le cinéma n'est qu'un prétexte à la rencontre et au partage. C'est comme cela que tout ça aboutit à une seule chose : le rire ensemble, le vivre ensemble.

Alors oui, ce sont des shows pour une raison simple : lorsque l'on montre Retour de flammes c'est un spectacle à base de films que personne ne connaît ! Donc il y a besoin d'un homme sandwich, de quelqu'un qui va donner au spectateur les deux trois clés qui vont permettre de comprendre les films comme ils doivent être compris, sans pontifier ; autant le faire de manière joyeuse.

Par exemple, on va tourner un documentaire pour dire ce que c'est de restaurer un film. On va se servir de Charlot joue Carmen de 1915. Une histoire incroyable ! Comme Chaplin avait quitté la société de production du film, les producteurs ont profité de ce départ pour rallonger le film de deux bobines afin d'en faire le premier long métrage de Charlot. Hors la volonté de Chaplin bien entendu ! Celui-ci a fait un procès et on a pris les attendus de ce procès pour montrer comment Chaplin voulait que soit le film. Notre restauration consistera à enlever tout ce qui n'a pas été voulu par Chaplin.

Propos recueillis par Aurélie DUNOUAU