Dans un autre domaine, les difficultés sociales ou sociétales de la Suède ne sont évidemment pas absentes des sujets traités par cette nouvelle vague. Un certain nombre de premiers films se chargeront de les évoquer, souvent en reprenant et reconstituant les luttes du passé.

Ce sera la cas de 491 de Vilgot Sjöman en 1964 qui dénonce des méthodes d'éducation répressives et une organisation sociale inadaptée, Le quartier du corbeau de Bo Widerberg, également en 1964 qui peint un vieil ouvrier sombrant doucement dans l'alcoolisme et le désespoir sous les yeux de son fils révolté dans le contexte de 1936, Les feux de la vie de Jan Troell (1966) qui décrit les premières revendications syndicales, Adalen 31 (1968) du même Bo Widerberg qui retrace les grandes grèves du Norrland de 1931.

Notons qu'il s'agit le plus souvent d'adaptations de romans plus ou moins populaires.

Il faut aussi savoir que cette volonté de revenir sur un passé de lutte est, en dehors de la corrélation politique, une expression du profond malaise ressenti par les jeunes Suédois nés dans les années 1935 /1945 quant à la neutralité de leur pays lors de la seconde guerre mondiale et qui reste un traumatisme important dans le contexte de l'après-guerre découvrant les horreurs nazies. Le film de Hans Abramson : L'amour sans uniforme (1966) en montre les effets.

Il n'empêche que dans ce portrait un peu trop sommaire et caricatural il est important de garder en mémoire combien ces cinéastes exprimaient une revendication d'égalité, de justice et d'émancipation, une soif de liberté contagieuse avec, entre autres, une nouvelle relation à la maternité et à la paternité. Ces regards de cinéma, souvent marqués de valeurs très individualistes ne pouvaient être tolérés que par une société libérale courageuse.

En 1966, Vilgot Sjöman déclarait au Cahier du Cinéma « Nous jouissons quand même en Suède, d'une liberté enviable » (Cahier N°181 août 1966) et dans ce même numéro, Kenne Fant, écrivain et critique, notait que « Le cinéma suédois a en ce moment une certaine vitalité, et cela parce que les circonstances économiques sont devenues plus favorables. Le cinéma est en même temps devenu de plus en plus, en Suède, le centre de la vie culturelle. On s'y intéresse, les romanciers et les journalistes en discutent. Auparavant le cinéma était essentiellement l'affaire des échotiers ».

Mais, dès la fin des années 60, tous ces films stimulants et virulents vont céder la place à des œuvres plus conventionnelles, avec des thèmes appartenant à la tradition suédoise qui vont être remis au goût du jour. Comme la nouvelle vague française les réalisateurs contestataires vont s'inscrire dans un système de tournage traditionnel et retrouver, avec plus ou moins de romantisme, les chemins narratifs vernaculaires : l'homme face à la nature, le désir d'expatriation, la recherche d'un lyrisme naturaliste.

La liberté de création du cinéma suédois avec ses valeurs nouvelles et sa force révolutionnaire n'aura duré qu'une décennie.

Bo Widerberg, cinéaste par définition très indépendant des mouvements artistiques à la mode, va en donner le départ dès 1967 avec Elvira Madigan (1967), histoire d'amour fou sur fond de remise en cause des règles sociales. Il sera suivi, entre autres, par Jan Troell qui connaîtra un beau succès critique et public avec Les Émigrants (1971) et Le nouveau monde (1972) ou Vilgot Sjöman avec Une poignée d'amour.

Dans les années 70, on verra même quelques comédies (à contre-courant des personnages dépressifs et mélancoliques des années 50) comme par exemple La guerre des pommes de Tage Danielsson et Hans Alfredson (1973). D'autres productions, de moindre importance, vont par contre renouer avec le cinéma introspectif à la Bergman sans pour autant égaler le Maître : Fanny de Lasse Forsberg (1977) ou Promenade sous le soleil de Hans Dahlberg (1978).

Si bon nombre des films cités ont connu une distribution commerciale normale (malgré les problèmes de censure) c'est surtout dans les différents festivals européens qu'il fut permis de découvrir toute cette production, somme toute assez hétérogène, mais dont les qualités formelles et ''scénaristiques'' s'avérèrent remarquables, preuves indéniables de la vigueur et de la richesse d'une nouvelle vague suédoise, éphémère peut-être, mais combien mémorable.

Alain Jacques Bonnet