Gian Luca Farinelli est le directeur de la Cinémathèque de Bologne depuis 14 ans.
Ce texte est la transcription écrite de l'allocution prononcée par G.L. Farinelli lors de sa rencontre avec la presse le 10 février 2014. Certaines formulations ''italiennes'' ont été restituées en ''français'' pour une meilleure compréhension de ses propos.

La restauration

La situation italienne est assez différente de la situation française. En France il y a les archives d'état, à côté la Cinémathèque Française, d'état elle aussi, qui est LA CINÉMATHÈQUE référence dans le monde, Bois d'Arcy mais aussi Toulouse, Lyon et l'Institut Lumière, etc. Tous ces organismes sont très actifs et bénéficient d'un soutien de l'état très important. Par ailleurs, les films du patrimoine font régulièrement partie de la saison cinématographique et une cinquantaine de films font partie des sorties annuelles. Les nouveaux films tournés y sont obligatoirement déposés.

En Italie, c'est un peu différent, même s'il existe une loi qui impose le dépôt de chacun des films produits et si l'état soutient aussi le travail de restauration effectué par les cinémathèques en choisissant les films. Mais comme nous ne sommes pas cinémathèque nationale, nous travaillons sur les films de notre propre collection.

Il y a différents critères de choix pour la restauration : nous avons des films rares, en mauvais état, sur lesquels il faut rapidement intervenir. Il y a aussi des critères d'urgence historique pour des moments de l'histoire du cinéma italien qui sont très peu connus ou mal connus,

On a commencé à chercher des copies de films italiens dans toutes les Cinémathèques du monde car le cinéma italien des années 1900, 1910 et 1920 connut un grand succès mondial, même en Russie, en Amérique du sud et même en Nouvelle-Zélande. Au début, nous avons pu restaurer une vingtaine de films muets, sur notre collection d'alors. Cela est très peu par rapport à la production muette du cinéma italien estimée à plus de 5000 films.

Un autre type de restauration concerne les films des metteurs en scène extrêmement mal connus ou dont les œuvres ne sont pas exploitables ou accessibles, comme par exemple Roberto Rossellini (producteurs divers et dispersés, difficultés à trouver les copies de ses films, problèmes techniques pour les projeter...). Il y a cinq ans, aucun film de lui n'avait été restauré à cause des problèmes de droits.

Là, c'est une jungle, et il était donc très difficile de récupérer des copies et de les montrer. Malgré tout, dans ces dernières années nous avons pu restaurer dix de ses films. Ce n'est pas toute l'œuvre, mais cela en est malgré tout un morceau important que nous pouvons à nouveau montrer.

Autres filières encore : celles des productions locales (tournées à Bologne) ou régionales. Ce sont des documents extraordinaires qui parlent de la ville, de la région et qui sont une partie importante du cinéma italien en général.

Beaucoup de ces films ont été tournés dans notre région (courts et longs métrages). Cela s'explique par le fait que de nombreux metteurs en scène, des scénaristes de la grande époque, sont nés dans notre région : Fellini, Antonioni, Bertolucci, Zavattini etc. Et nous essayons de restaurer les films de ces grands réalisateurs.

Puis, il y a cinq ans nous avons proposé à Martin Scorsese, qui possède depuis longtemps une fondation chargée de la recherche et de la restauration des grands classiques issus du cinéma américain, mais aussi d'autres pays, de travailler avec eux sur une catégorie de films non-classiques, provenant de pays où il n'y pas de Cinémathèque, ou que celles-ci ne peuvent pas effectuer les restaurations, en mettant en avant notre capacité à effectuer un travail de restauration de grande qualité.

Aujourd'hui nous avons restauré une vingtaine de film africains, asiatiques, d'Amérique Latine, dont la plupart ont été présenté à Cannes dans la section ''Cannes Classics'' .

Mais ce ne sont pas des films dont on possède les copies, et cela demande parfois des années de recherche pour les récupérer. Cependant c'est un travail passionnant qui permet de voir des grands films, souvent inconnus, dans des versions de bonne qualité.

Aujourd'hui, la Cinémathèque de Bologne gère le fond de la collection : 60 000 films, la partie iconographique, la bibliothèque : 35 000 livres, le département affiche 35 000 affiches, la photographie, les documents d'artistes, la programmation du festival, la distribution des films, les rapports avec la presse et l'administration générale.

Nous sommes pour cela une soixantaine de personnes dont une dizaine opère dans l'association qui gère les salles.

De plus une quarantaine de personnes travaille pour les recherches de films.

C'est donc une centaine de gens qui sont attachés à la Cinémathèque.

Pour conclure je dirais que nous sommes aujourd'hui dans une crise très, très, forte. À la fin des années 70, après une très grande période pour le cinéma italien, il y a eu une destruction du cinéma, à mon avis scientifique car je pense que c'était un projet, qui a été ''mangé'' par la télévision.

Le cinéma, qui était auparavant très libre, se faisait alors en dehors du pouvoir ''politique''. Mais depuis ces années de ''destructions'' il est maintenant rattrapé par ce ''pouvoir'' politique. Et, dans le système il ne faut pas oublier que c'est encore, et surtout, la télévision qui décide quel film doit être réalisé...

Pendant cette dernière période, très étrange, on a produit surtout des comédies mais aussi une part très importante de documentaires, réalisés par de très bons cinéastes. Et puis nous avons vécu une sorte de ''révolution régionale'' en ce sens que les tournages des films les plus intéressants du cinéma italien se sont fait en dehors de Rome ; Olmi a d'ailleurs été le premier grand cinéaste à faire ses films en dehors de Rome (à Milan par exemple où il a fondé sa propre maison de production).

Aujourd'hui la plupart des cinéastes italiens n'habitent même pas Rome.

En conclusion je dirais que pour moi, de tous nos travaux, la conservation des films est le travail le plus important, primordial, car il touche à l'éternité.

La restauration, bien qu'indispensable pour voir les films dans de bonnes conditions, appartient, elle, au temps présent puisqu'elle dépend de l'évolution des techniques qui n'ont cessé et ne cesseront pas d'évoluer.

(A suivre : La troisième partie de cette allocution concernant la publication du livre de Charles Chaplin : Footlights, paraîtra dans le Numéro 37 de Cinefil.)

Gian Luca Farinelli

Directeur de la Cinémathèque de Bologne