De très nombreux films ont traité du conflit de 14/18 et il ne serait question ici de les évoquer de façon exhaustive. Cette production cinématographique, selon les périodes, n'a cependant pas perçu le conflit de la même façon et ne l'a pas traité sous le même angle. Alors que les films les plus proches du conflit cherchent à se distinguer par un effort de reconstitution très réaliste, d'autres postérieurs à la seconde guerre mondiale vont davantage être dans la dénonciation politique de la guerre ; d'autres encore plus récents s'empareront du thème des gueules cassées ou des traumatismes psychologiques. Le traitement cinématographique de la guerre de 14 semble avoir suivi des thématiques bien précises selon les périodes.

Les premiers films qui sont produits au cours des 20 premières années qui suivent le conflit insistent souvent sur les reconstitutions, souhaitées les plus réalistes possibles, des combats.

Verdun visions d'Histoire réalisé par Léon Poirier en 1928 et que l'on pourrait qualifier de docu-fiction vient immédiatement à l'esprit lorsque l'on cherche à évoquer ce thème d'un cinéma de guerre très réaliste. Tourné sur les lieux mêmes de la bataille la plus sanglante du conflit, juste dix ans après la fin de la guerre, le film semble suivre à la lettre le déroulement de la bataille avec notamment la chute du fort de Douaumont, l'avancée des troupes allemandes en vue de la cathédrale de Verdun, la destruction du village de Fleury et la reconquête progressive du terrain perdu.

Quatre de l'infanterie, film allemand de Georg Wilhelm Pabst en 1930 qui appartient d'ailleurs au courant cinématographique réaliste allemand et que nous avons pu voir lundi 3 novembre à la Cinémathèque l'illustre également particulièrement bien. La reconstitution des combats et des tranchées, un monde de boue où se noie l'humanité des combattants, est particulièrement édifiante. Westfront, titre original du film, nous indique en même temps en filigrane que c'est bien sur le front Ouest que s'est joué le sort de la première guerre mondiale, alors que c'est sur le front Est que se jouera le sort de la deuxième. Il en va cependant de même du film de Raymond Bernard les Croix de bois en 1931 où nous assistons au travail de sape et de contre sape pour faire sauter les tranchées ennemies. À l'Ouest rien de nouveau de Lewis Milestone en 1930 et tiré du roman éponyme d'Erich Maria Remarque s'inscrit dans la même veine avec une dimension pacifiste plus appuyée qui conduira à l'interdiction de l'œuvre sous l'Allemagne nazie.

Il s'agit dans les années 30, encore très proches du conflit, d'insister sur ce monde des tranchées, fort peu connues de l'arrière, et sur les conditions des combats assez spécifiques de la guerre de 14.

Déjà cependant le J'accuse d'Abel Gance dans sa version de 1918 et de 1937 sonne comme une dénonciation implacable du conflit. La scène finale où les morts se relèvent et défilent avec leurs croix sonne comme un réquisitoire inoubliable. L'approche est cependant purement humaniste et lyrique mais pas encore politique.

Le thème des condamnés pour l'exemple (ces soldats accusés de désertion et que l'on fusillait après un jugement hâtif voire plus sommairement encore) dont s'empare le cinéma à travers deux grands films Les Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick en 1957 et Pour l'exemple de Joseph Losey en 1964, permet au contraire d'aborder les rapports de force et le jeu du pouvoir des hommes au sein de la hiérarchie militaire. Le décor de la scène des Sentiers de la gloire où se déroule la valse viennoise au sein de l'État-major à l'arrière du front, semble être un échiquier où se joue le sort des hommes de troupes. Kubrick développe ici une vision organique du conflit en opposant, au sein du même camp, les hommes selon leur position par rapport au front et leur position sociale. Éminemment politique le film sorti en pleine guerre d'Algérie sera d'ailleurs interdit en France jusqu'en 1976.

Les hommes contre (Uomini Contro) de Francesco Rosi en 1970 ira plus loin encore dans cette approche politique du conflit. Lorsque le lieutenant Sassu se retourne contre son propre État-major en s'écriant « voilà l'ennemi » c'est bien à une vision marxiste de la guerre qu'obéit Rosi : le conflit des nations ne sert qu'à masquer un conflit des classes pourtant véritable moteur de l'Histoire. Pour Rosi il s'agissait avec ce film « de lier la signification d'une guerre d'il y a cinquante ans aux guerres qui ont lieu aujourd'hui ».

Il faudra attendre les années 90 pour revenir à des films dont le propos principal revient aux conditions de combat et à la prise des tranchées ennemies. Traitant de l'Armée d'Orient et du front des Balkans (où l'armée française en soutien à l'armée grecque s'oppose aux Bulgares alliés des allemands) Bertrand Tavernier avec Capitaine Conan (projeté le 30 mars à la Cinémathèque) nous livre un film sur les ravages de la guerre sur les hommes. Héros des combats, le capitaine Conan rentré chez lui en Bretagne sombre dans l'alcool et semble singulièrement inadapté à la vie civile en temps de paix... Le point de vue de Bertrand Tavernier est ici particulièrement riche : ce n'est plus l'apparence des actions héroïques lors des combats qu'il s'agit de magnifier mais le portrait complexe « d'un guerrier » dont la violence est constitutive de son être qu'il s'agit d'évoquer.

Le thème des gueules cassées jusqu'alors fort peu traité apparaît pour la première fois ou presque avec La Chambre des officiers de François Dupeyron en 2001, tiré du roman éponyme de Marc Dugain. Se passant presque essentiellement au sein de l'hôpital militaire du Val-de-Grâce, le film traite des blessés défigurés et des progrès de la chirurgie reconstructrice.

La guerre de 14, première guerre « industrielle » de l'Histoire où des armes d'une puissance de feu et de destruction jusqu'alors inégalées furent employées, entraîna effectivement plus d'un million d'invalides en Europe et de très nombreux défigurés. Les questions du pouvoir de la médecine sur la chirurgie des corps mais aussi des abus de ce pouvoir sur les hommes était cependant déjà évoquée dans Johnny s'en va en guerre de Dalton Trumbo en 1971. Ce dernier film revêt cependant une dimension quasi métaphysique et dépasse très largement le cadre de la guerre de 14 même si l'on comprend fort bien que le soldat Johnny en revient...

Enfin la guerre de 14 est aujourd'hui vue en Histoire comme un processus de « brutalisation » des corps et des esprits et un processus civilisationnel régressif qui rompt avec les progrès du confort au cours de la belle époque. Le très beau film de Gabriel le Bomin Les Fragments d'Antonin en 2006, qui s'appuie sur des images d'archives que l'on n'oublie guère, traite justement de ces blessures psychologiques et de ces traumatismes invisibles sur les corps mais bien réels dans les esprits. Peu soutenu par la critique Gabriel Le Bomin nous livre pourtant là un film poignant et émouvant magistralement interprété par Grégori Derangère.

Longtemps tabou et absent des premiers films traitant de la guerre la question des condamnés pour l'exemple, des gueules cassées ou des blessures psychiques post-traumatiques, qui illustrent pourtant fort bien aussi la réalité de la guerre de 14 se trouvent ainsi peu à peu mises en avant par le cinéma. Ces préoccupations cinématographiques suivent d'ailleurs indirectement les thématiques des recherches en Histoire sur la guerre de 14 de plus en plus tournées vers l'expérience combattante dans toutes ses dimensions après avoir longtemps été tournées sur les conséquences du conflit ou les évolutions du front au cours des batailles.

Eudes Girard