Marcel Aboulker, Jean Faurez, Raymond Leboursier, Robert Peguy, Guillaume Radot, Albert Valentin .... Et bien d'autres...

Qui peut citer un seul de leurs films ? Qui se souvient encore qu'ils furent de grands artisans du cinéma français d'après-guerre et qu'il serait temps de redécouvrir leurs œuvres ?

Robert Hennion appartient à cette confrérie qui alimenta avec beaucoup d'efficience les salles des cinémas de quartiers dont l'utilité sociale fut si importante dans la décennie 45/55.

Un cinéma populaire certes, mais sans vulgarité et qui faisait preuve d'un souci permanent de simplicité et de qualité. S'il s'agissait de proposer une comédie, il l'a fallait de bon aloi, avec des personnages proches du peuple et dont les préoccupations conservaient toujours la dignité sociale de leur milieu.

En se cherchant des modèles, chacun se voulait un ''René Clair'' du Silence est d'or (1947) ou, lorsque le drame devait faire frissonner, un Marcel Carné des Portes de la nuit (1946).

Il fallait bien sortir de ces sombres histoires de collaboration et, pas si loin dans les mémoires, des ''épurations douloureuses''. Le cinéma de cette époque s'adressait à un public avide de légèreté et d'histoires simples, parlant de problèmes romanesques, d'exotisme (c'était les Américains !) et d'un monde rassurant. C'était l'homme ordinaire victime d'amours dangereuses (Panique de Julien Duvivier en 1946, Casque d'or de Jacques Becker en 1952), le flic laborieux venant à bout des truands et des assassins (Quai des orfèvres de Henri Georges Clouzot en 1947) quand ce n'était pas les valeurs morales mais singulières du ''milieu'' (Touchez pas au grisbi de Jacques Becker en 1954).

Ces cinéastes emblématiques (il manque Autant-Lara, Grémillon, Allégret...), s'ils furent les cibles privilégiées des louveteaux de la critique des années 50, avides de se faire une place dans ce milieu professionnel, restent encore présents dans les dictionnaires et les histoires du cinéma parce que, replacée dans leur époque, la qualité de leurs films n'est guère discutable et également parce qu'ils étaient les ''patrons'' de l'industrie cinématographique d'après-guerre.

Mais les autres, ceux qui sont cités au début de cet article, qui travaillèrent dans et pour le cinéma mais qui n'eurent ni le temps, ni les moyens, d'être reconnus par l'intelligentsia parisienne, ceux-là, ignorés des médias, disparurent totalement des mémoires.

S'il n'y avait sa famille et ses proches qui conservèrent ses archives, qui pourraient encore visionner les films de Robert Hennion, dont les copies en mauvais état détenues à gauche et à droite, ne sont jamais projetées et donc littéralement invisibles.

En retraçant brièvement son itinéraire, on voit que Robert Hennion est venu au cinéma sous les auspices convergents de son père, en premier lieu, pionnier de l'utilisation du cinéma dans la police (Les fameuses Brigades du Tigre) et de quelques gens célèbres de l'époque comme jean Renoir et sa femme Catherine Hessling, Raymond Bernard et l'écrivain et scénariste Henry Dupuy-Mazuel qui lui fera découvrir le monde du cinéma. C'est son gout pour l'écriture, pour la confection de découpages précis, ce qui sera toujours sa passion, qui lui ouvrirent les portes du langage cinématographique.

Son parcours demeure classique : courts-métrages, assistanats (entre autres de Maurice de Canonge, un peu oublié lui aussi) films de commande et enfin après la guerre dans laquelle il s'est engagé, un premier long métrage en 1946 : Ploum ploum tra la la produit par René Bianco). Le scénario est simple : une histoire de boulevard entre une jeune fille de bonne famille (la mère est Marquise) et un roturier amoureux aidé par un ami débrouillard et sympathique. Tout cela finit très bien !

Déjà Hennion sait utiliser les seconds rôles de l'époque : Paulette Dubost, Suzanne Dantès, Saturnin Fabre, qui sont déjà les magnifiques et réguliers interprètes de ce cinéma populaire et commercial. Le film connaît un réel succès public et il peut ainsi retrouver des producteurs.

Il tourne Et dix de der l'année suivante sur un scénario de Paul Fékété qui emprunte des chemins détournés (une histoire de timbres) pour tisser une trame policière entre inspecteurs français, voleurs américains (ils ont les rôles de méchants) et fausse héritière . La distribution est encore de très bonne qualité : Denise Grey, Paulette Dubost, Georges Milton, Nic Vogel....

Puis c'est Les Souvenirs ne sont pas à vendre, sorti à Paris le 17 septembre 1948, où sur différents scénarios (de Pierre Apestéguy et Paul Achard, Frédéric Boutet, Maurice Henry, Michel de Saint-Pierre, entre autres) il réalise un des premiers films à sketch de l'après guerre retraçant l'histoire de la vie d'un hôtelier de montagne partant à la retraite.

Une fois encore, la distribution est remarquable par l'amalgame entre des acteurs d'expérience et quelques jeunes encore peu connus. Hennion offre des rôles à Martine Carol, à Blanchette Brunoy, à Sophie Desmarets, à Franck Villard, à Robert Hossein (comme figurant) qui sont entourés par Colette Darfeuil, Maurice Baquet ou Alexandre Rignault.

Ce film a été projeté au Studio le 24 novembre. Il y fût accueilli par le public de la Cinémathèque avec des sourires et des rires francs et spontanés lorsque Maurice Baquet se livre à son numéro de burlesque qui préfigure Jerry Lewis et la douce complicité de spectateurs disposés à retrouver le parfum des années 50 !

Certes le scénario est parfois un peu faible (l'histoire des voleurs espagnols) et le jeu des acteurs un peu daté (l'histoire de la vengeance du cocu) mais la mise en scène demeure toujours efficace, emprunte de simplicité et mise au service de la limpidité de narration. De plus Hennion sait se servir des paysages enneigés pour en restituer la lumière.

Bien sûr, ce sont les acteurs qui sont mis au premier plan.

Les petites aventures des personnages sont représentées avec affection et bonne humeur –même les voleurs et voleuses sont sympathiques – et si l'on décèle une certaine jubilation à décrire la duplicité féminine (mais une duplicité si agréable), c'est le regard amusé et la tendresse évidente de Robert Hennion qui génère la sympathie.

D'ailleurs le film connu un beau succès commercial en 1948 et tout comme les vieilles photos, il est un bon exemple de ce cinéma à double détente : le succès lors de la première sortie, un temps d'oubli plus ou moins long puis une révision tardive qui replonge le spectateur dans ses souvenirs d'adolescence !

Robert Hennion eut encore le temps de tourner L'atomique Monsieur Placido en mai 1950 avec Rellys, Liliane Bert et Robert Arnoux. Il s'agissait de l'histoire d'un gangster sosie d'un naïf musicien, tous les deux se disputant les faveurs d'une belle artiste de music-hall sur fond de poursuite par des malfrats. Le scénario n'était pas très sérieux et le film n'eut pas une grande audience malgré la présence d'un Rellys un peu court pour son rôle de vedette.

Après quelques documentaires alimentaires il tire son chapeau en 1955 sans avoir pu réaliser sa version du roman de Roger Vercel Les Eaux troubles dans l'adaptation duquel il s'était profondément investi. C'est sans doute avec ce travail, qu'il aurait le mieux révélé ses qualités ''scénaristiques'' et la valeur de ses découpages.

Arrivé trop tard à cause de la guerre, puis torpillé par la Nouvelle Vague, Robert Hennion a traversé le cinéma français trop vite, avec une grande honnêteté, une fantaisie et une légèreté de style qui eut mérité un peu plus de reconnaissance. Il est peut-être temps d'en redécouvrir les mérites.

Jackie Touchard