De récentes analyses d’économie du cinéma ont montré que les films comiques sont ceux qui marchent le mieux en France. On pense par exemple à La Grande vadrouille (Gérard Oury, 1966), qui a été pendant longtemps le film français ayant fait le plus d’entrées dans les salles françaises et mondiales. Or, si ce genre semble pouvoir être identifiable par tous, il est pourtant très difficile de définir la comédie aujourd’hui, tant ce genre varie selon les époques et les cultures. C’est en cherchant à diminuer ces contours flous, tout en nous intéressant à la notion de genre au cinéma, que nous allons nous pencher sur deux modèles de la comédie, la comédie hollywoodienne classique illustrée par Ernst Lubitsch et Frank Capra, et la comédie « à l’italienne » (voir l’article de Louis D’Orazio) dont Mario Monicelli est un des représentants – en référence à la programmation de la cinémathèque.

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        Il s’agit dans un premier temps de définir ce qu’est un genre au cinéma, tout en se demandant pourquoi cette détermination générique est indispensable. Ce mot tiré du latin renvoie à l’idée de catégorie, de regroupement : établir des classements génériques est donc finalement ce qui permet de construire un discours sur le cinéma, en classant les films selon des domaines, des époques, des cultures. Les genres n’ont évidemment d’existence que s’ils sont reconnus comme tels par la critique et le public. Pour la comédie cela semble simple puisque le rire seul paraît pouvoir attester de la pertinence à faire entrer tel ou tel film dans la catégorie du genre comique : si l’on rit devant un film, c’est que c’est une comédie, et plus on rit, plus le film est réussi.

        Or, tout n’est pas toujours si concret dans les déterminations génériques. Cela se complique si l’on pense par exemple au mélodrame selon Jean-Loup Bourget dans Le Mélodrame hollywoodien. Bourget convoque quatre critères facilement identifiables au sein des œuvres, et si l’un d’eux n’est pas présent dans le film, c’est que ce dernier n’est pas un mélodrame. Il faut qu’il y ait une victime, un drame, de grandes exaltations, des rebondissements et il ne faut pas que le film soit manichéen. Cette définition du mélodrame est donc très stricte et permet d’attribuer la détermination générique de manière concrète. Ce classement par genre permet dans un deuxième temps la naissance d’un discours métafilmique, les réalisateurs s’amusant à créer au sein des films des jeux de répétitions et de variations dans un ensemble de conventions narratives, iconographiques et stylistiques. Les genres structurent donc notre rapport au monde et au cinéma. On peut distinguer deux grandes catégories : les genres romanesques - mélodrame, comédie - et les genres spectaculaires - film d’aventures, film d’action.

        Or, la faiblesse de l’identité générique de la comédie comparée à l’exemple du mélodrame que nous venons de citer est rappelée par Jacques Aumont et Michel Marie dans le Dictionnaire théorique et critique du cinéma. Henri Bergson était déjà l’un des premiers à définir les différentes catégories de comique dans Le Rire : le comique de mots, de situation ou encore de caractère. S’il y a comique, il ne prend donc pas toujours sa source dans les mêmes rouages, et c’est ce qui rend ce genre très diversifié.

        J. Aumont et M. Marie écrivent ainsi que « la comédie est un genre aux contours flous, mais universel ». Il est vrai que l’on peut dire que la comédie traverse toutes les époques et tous les pays, en s’enrichissant à chaque fois de nouvelles cultures et de nouveaux contextes sociaux. C’est pour cela que le terme « comédie » semble être bien trop riche pour pouvoir l’utiliser précisément sur un courant sans englober toute l’histoire du cinéma. Raphaëlle Moine dans Les Genres au cinéma expose les limites de cette détermination générique en montrant l’extension trop grande de ce genre à travers l’étude de toutes les occurrences du terme : comédies burlesques, d’action, de boulevard, de mœurs, les comédies italiennes, loufoques, populistes, romantiques, « screwball », « slapstick », musicales et enfin les comédies dramatiques. Il est difficile d’établir des codes visuels, narratifs, techniques, historiques, balayant tout l’âge de la comédie si celui-ci doit englober le slapstick – coup de bâton – type de comique américain des années 1920, et les comédies musicales ou dramatiques. À première vue, hormis le registre du rire, il semble que ces deux types de films n’appartiennent pas au même genre.
       
        Prenons donc deux types de genres comiques distincts pour éclairer cette question : la comédie hollywoodienne et la comédie à l’italienne. La comédie hollywoodienne arrive aux États-Unis après le burlesque, dont Buster Keaton est l’un des plus grands fervents. Le burlesque est très bien défini par Petr Kràl dans Le Burlesque ou la morale de la tarte à la crème comme une exaltation du corps comique – reprenant les règles de la pantomime anglaise - qui s’exprime par un comique de situation qui joue sur la démesure. Ce comique est fondé sur l’idée de faire intervenir du désordre dans un monde rangé – on pense par exemple aux sketchs de Fatty Arbuckle, où le but est de recouvrir le plus possible tout le décor de farine et de mélasse. La comédie hollywoodienne classique à la Howard Hawks naît dans les années 1930, avec l’arrivée du parlant, et donc ajoute un nouvel élément comique : les dialogues.

        C’est effectivement le comique de mots qui est remarquable chez Lubitsch et Capra : l'effet comique est produit par les paroles - jeux de mots, niveaux de langue, répétitions. New-York-Miami (It Happened One Night - Frank Capra, 1934), est le film qui lance là un nouveau sous-genre au sein de la comédie hollywoodienne, la « screwball comedy », caractérisée par la combinaison du slapstick, des dialogues vifs, et une intrigue centrée sur des questions de mœurs - divorce, rupture, remariage, trio amoureux.

        La comédie « all’italiana » vient plus tard, après l’essoufflement du néo-réalisme. Ce type de comique est plus satirique car orienté vers une critique sociale qui est généralement moins présente dans la comédie hollywoodienne, plus attachée à un comique de mœurs. La comédie italienne retrouve finalement les mêmes sujets que ceux abordés par les cinéastes néo-réalistes dans l’immédiat d’après-guerre, la misère sociale, mais cette fois-ci abordés dans le contexte du miracle économique et sur un ton comique. Serge Daney dans « Éloge de Tati » (La Rampe), écrit que rire de son monde est un bon moyen cinématographique pour le critiquer. C’est cette idée qui caractérise la comédie italienne, comme l’explique l’acteur italien Toto, au moment de la sortie en salles de la comédie Gendarmes et voleurs, (Guardie e ladri - Mario Monicelli, 1951), un témoignage social qui établit le lien entre le comique, la satire et la réalité sociale : « Je connais par cœur la misère et la misère est le scénario du comique véritable. On ne peut pas faire rire si on ne connaît pas bien la douleur, la faim, le froid (…) on ne peut pas être un véritable acteur comique sans avoir fait la guerre avec la vie ». 

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        Le genre cinématographique est donc fortement lié à la structure économique et institutionnelle de la production. Ce classement en genres au cinéma comme dans tous les autres arts suit une logique économique, commerciale, idéologique et stylistique. Il est difficile de définir un film en se référant uniquement au genre car comme nous l’avons vu, cette acception est finalement très large. Lorsque l’on parle de la comédie, il faut donc préciser grâce aux époques, aux pays de référence, et aux classements en sous-genres. Dès lors, on remarque que le comique au cinéma ne se cantonne pas à la légèreté, et on ne peut le réduire à « la pratique d’une danse grotesque » selon Aristote dans La Poétique. Le comique permet de définir la tonalité du film, mais l’intrigue et le sujet sont eux très souvent subversifs, et finalement très graves, comme le montre l’histoire de la comédie italienne.

Manon Billaut