Lors de la discussion qui suivit la projection de Plein Soleil, de René Clément, un spectateur fit remarquer que le thème du double et de l'usurpation d'identité sur lequel est bâtie l'intrigue de cette œuvre (tirée de Monsieur Ripley, de Patricia Highsmith) se retrouve dans un autre film dans lequel Alain Delon tient le rôle principal : Diaboliquement vôtre, co-production franco-italo-allemande réalisée par Julien Duvivier et sortie sept ans plus tard, en 1967. Delon y interprète en effet un jeune soldat de retour d'Algérie, Pierre Lagrange, qui endosse à son insu la personnalité d'un autre homme après avoir été rendu amnésique dans un accident de voiture provoqué par une femme. Laquelle, effectivement bien diabolique, lui fait croire qu'il est son mari alors qu'elle a assassiné ce dernier et compte ensuite se débarrasser de ce remplaçant malgré lui pour couler des jours heureux auprès de son amant...

Ce film, plutôt mal accueilli à sa sortie, du fait d'une réalisation paraît-il un peu terne et de trop grandes invraisemblances dans le scénario, semble être surtout connu pour avoir été le dernier film de Julien Duvivier, victime d'une crise cardiaque à la fin du tournage. Il reste que ce scénario, signé, entre autres, de Duvivier lui-même et de Paul Gégauff (également co-scénariste du film de Clément), a effectivement ceci en commun avec celui de Plein Soleil que le personnage de Delon y remplace – cette fois, à son insu – un homme assassiné dans le cadre d'une sombre machination. Les deux histoires s'opposent cependant radicalement sur au moins deux points : outre le fait que le Ripley de Plein Soleil est l'assassin, tandis que le Lagrange de Diaboliquement vôtre est la victime de la machination, Ripley s'identifie de plus en plus à l'homme qu'il a tué, alors que Lagrange se démarque progressivement de ce mari assassiné dont on lui a fait contre son gré prendre l'identité.

En partant de cet exemple, d'autres titres de films furent cités au cours du débat, ayant en commun de mettre en scène Delon dans un double rôle. On peut tenter d'étoffer la liste qui fut ébauchée ce soir-là.

Dans la chronologie de sa filmographie, le titre correspondant à cette thématique qui vient après Plein Soleil relève d'un genre certes plus divertissant, mais, pour autant qu'on n'en garde que des souvenirs d'enfant, d'assez bonne facture dans son genre : La Tulipe noire, de Christian-Jaque (1964), film de cape et d'épée – et paraît-il, film le plus rediffusé à la télévision française –, dans lequel Delon interprète deux frères jumeaux aristocrates à la veille de la Révolution française, Guillaume et Julien de Saint-Preux, dont l'un, aventurier cynique et jouisseur, se transforme à la nuit tombée en une sorte de Zorro avant l'heure, tandis que l'autre, timide et idéaliste, est constamment plongé dans les livres des philosophes acquis aux idées nouvelles.

Du reste, dans le même genre, quoique sans doute moins bon puisqu'on ne l'a pas vu, Delon a même été Zorro lui-même et, donc, son « double » Don Diego de la Vega, dans le Zorro de Duccio Tessari, en 1975.

Avant cela, en 1968, Alain Delon a incarné les deux William Wilson dans le sketch du même nom, réalisé par Louis Malle, qui figure dans les Histoires extraordinaires, co-production franco-italienne dont les deux autres auteurs étaient Roger Vadim et Federico Fellini. Ce moyen-métrage, tiré de la nouvelle éponyme des Nouvelles histoires extraordinaires d'Edgar Allan Poe, voit Delon interpréter William Wilson, intelligent et manipulateur, ainsi que le double qui le hante depuis l'enfance et le conduit progressivement à la folie.

Si, dans Monsieur Klein, de Joseph Losey (1976), Alain Delon n'interprète qu'un rôle, le thème du double n'en est pas moins omniprésent à travers la figure d'un homonyme avec lequel le personnage qu'il incarne est petit à petit confondu. Marchand d'art alsacien, affairiste et sans scrupules, le Monsieur Klein joué par Delon, qui rachète à vil prix, à Paris, en pleine Occupation, des objets d'art à des Juifs en situation de plus en plus critique, en vient jusqu'à l'obsession à vouloir retrouver son homonyme, qui est en quelque sorte moins son double que son opposé. Celui-ci, Juif et résistant, joue de cette homonymie pour couvrir ses activités clandestines. Les deux hommes partageront en toute fin le même sort.

On pourrait citer également Le Choc, de Robin Davis (1982), libre adaptation de La Position du tireur couché, de Jean-Patrick Manchette, puisque, si l'on veut, Delon, sous deux noms différents, y interprète le rôle d'un tueur à gages et de sa couverture, mais la démonstration peut s'avérer guère convaincante. Mettons que ce soit uniquement pour le plaisir de rappeler que Catherine Deneuve joue dans ce film souvent décrié le rôle d'une gardienne de dindons assez peu crédible.

Reste, pour finir, Nouvelle Vague, de Jean-Luc Godard (1990), dans lequel Delon est « Lui », Roger Lennox et Richard Lennox, homme mal rasé, errant et sans mémoire recueilli par une milliardaire, qui le fait tomber à l'eau et le voit se noyer sans lui porter assistance lors d'une promenade en bateau. Un an plus tard, l'homme (ou son frère ? ou son sosie ?) ressurgit sous les traits d'un homme brillant, actif, charmeur et autoritaire, qui en vient à jouer auprès d'elle le rôle qu'elle tenait vis-à-vis de lui.

Sans doute pourrait-on trouver chez d'autres acteurs à la riche filmographie une fréquence au moins égale de personnages qui se dédoublent ou se trouvent un alter ego, mais il reste qu'elle paraît assez notable dans le cas de celui qui, quoi qu'on puisse penser de l'homme, est l'un des acteurs français les plus notables du cinéma de ces dernières décennies.

Christophe Louveau

Cinefil N° 48 - Mai / Juin 2016