Début mars 2017, l’on pouvait voir de nombreux Tourangeaux marcher d’un pas leste et empressé afin de rejoindre, pour les uns la salle Thélème de l’Université ou le bien connu cinéma Studio, pour les autres le Cinéma CGR Centre et la salle Jean Vilar du Théâtre de Tours, quand d’autres encore s’aventuraient jusqu’à la salle de l’Escale à Saint-Cyr-sur-Loire. Le festival Viva il cinema ! fait traditionnellement sortir les Tourangeaux et anime encore davantage la ville et ses principales salles de spectacle. Cette quatrième édition n’a pas dérogé à la règle, bien au contraire, puisque le nombre d’entrées (près de 6500) fut encore croissant.

Mais chacun, face à la diversité de l’offre, vit « son » festival et le point de vue développé ci-dessous n’est donc qu’un point de vue partiel, parmi bien d’autres possibles.

La soirée d’ouverture du mercredi 1er mars nous plongea dans le monde de l’entreprise et de ses logiques financières parfois redoutables et inhumaines pour nous rappeler que Le Bonheur est un système complexe (Gianni Zanasi). De la machination économique et financière d’aujourd’hui à La Machination politique d’hier pour nous expliquer le contexte politique de l’assassinat de Paolo Pasolini le 2 novembre 1975, il n’y a qu’un pas, franchi de façon plutôt convaincante par David Grieco puisqu’il remporta le Prix de la ville de Tours (nouveauté de cette quatrième édition). C’est un autre Journal intime autour du thème de la fratrie meurtrie par le destin et la guerre qu’explorait en 1962 Valerio Zurlini. Un film émouvant projeté dans des conditions à peu près correctes à la salle Thélème, malgré la médiocre qualité de la bobine, grâce au professionnalisme des projectionnistes de l'association Ciné Off, et l’occasion de voir deux très grands acteurs, Marcello Mastroianni et le (jeune) Jacques Perrin.

C’est à un autre type d’introspection que nous a convié Ivano de Matteo et sa compagne et scénariste Valentina Ferlan avec Les gens bien. Ivano de Matteo réalise ici un film très fin sur les limites de l’empathie et de l’altruisme lorsque le confort bourgeois et les conventions familiales s’avèrent être remis en cause. Un film qui prête à réfléchir et un coup de cœur personnel… Fiore de Claudio Giovannesi, sur l’univers carcéral des jeunes délinquants, fut moins convaincant, l’amour entravé par les chaînes et empêché par la prison est peut-être un thème trop banal… Plus réjouissant fut Nous quatre de Francesco Bruni, une comédie familiale réussie et enjouée qui fit certainement passer un bon moment à de nombreux festivaliers. Plus délirant fut On l’appelle Jeeg Robot de Gabriele Mainetti, il faut certes aimer la science-fiction et se laisser porter par les rêves de super-pouvoir. Deuxième printemps de Francesco Calogero fut, quant à lui, un très beau film, qui marqua également « mon » festival personnel ; une histoire où la complexité des personnages et des sentiments montre toute la puissance émotionnelle portée par le cinéma. Enfin l’hommage à Franco Piavoli et au cinéma documentaire avec notamment Il Pianeta azzuro (La Planète bleue) (1982) qui tente de saisir le temps qui passe au sein d’un hameau de Lombardie eut toute sa place au sein d’un festival éclectique comme sut l’être cette quatrième édition de Viva il cinema !

Comme on le voit, le festival du film italien est d’abord marqué par une grande diversité des types de films proposés de la comédie familiale contemporaine au film politique revenant sur certains moments noirs de l’Italie lors des années de plomb, de la satire sociale ou plus intimiste, du film de divertissement au film plus sombre, du film d’art et d’essai qui attend (parfois vainement) une distribution (et que l’on ne peut donc voir que lors du festival), au film dit de répertoire qui s’est inscrit dans la petite ou grande histoire du cinéma. De fait, l’un des intérêts du festival du film italien est de replonger dans son histoire, que ce soit (l’an dernier) celle de la guerre de 14 avec Les Prés refleuriront d’Ermanno Olmi ou (cette année) celle du contexte des années 70 avec La Machination de David Grieco. L’hommage rendu à quelques grands cinéastes italiens (Zurlini et Franco Piavoli cette année) ou grands acteurs ou actrices (ah ! le mémorable moment de la deuxième édition en 2015 où fut invitée Claudia Cardinale à la salle Thélème pour nous parler de Liberté, mon amour de Mauro Bolognini (1975)… et dont parle encore les Tourangeaux qui y ont assisté). Enfin que serait un festival sans moments d’émotion apportés par les films ? Sur ce plan encore le festival du film italien de Tours ne déçoit guère : du regard nostalgique sur l’enfance et l’adolescence dans Journal intime au souvenir nostalgique de l’être aimé que l’on croit retrouver dans une autre dans Deuxième printemps, des moments de complicité familiale dans Nous quatre à la naissance du sentiment amoureux dans Fiore, le cinéma italien montre qu’il sait toujours nous émouvoir.

Mais un festival ne se réduit pas à ses films, il se traduit aussi par toute une ambiance qui transparaît dans quelques moments singuliers. Les présentations de Jean Gili et de Louis d’Orazio avec leur capacité à faire émerger, lors des interviews des réalisateurs invités, les moments de vérité où l’on entrevoit les moments de grâce de la création artistique. La qualité des buffets italiens préparés par Il Ristorante, servis à plusieurs reprises lors du festival, a également ravi, sur un plan certes plus matériel mais non négligeable, les festivaliers. Cette année, l’ouverture sur l’agglomération du grand Tours avec des projections le jeudi 2 mars à la salle de l’Escale de Saint-Cyr-sur-Loire a permis d’accroître et de diversifier le public. L’organisation de quelques séances au cinéma des Carmes à Orléans a renforcé le rayonnement du festival. La convivialité des bénévoles pour vendre les pass ou poinçonner les tickets à laquelle répond la bonne humeur des festivaliers contribue également grandement à l’image d’un festival chaleureux où l’on passe de forts bons moments. Tout ceci n’est cependant que la partie visible de l’immense travail d’organisation préparé en amont par l’association Viva il cinema ! et ses représentants sans lesquels rien ne serait possible. Qu’ils en soient ici vivement remerciés au nom de tous.

Entre le festival des Premiers plans d’Angers, celui des Trois continents de Nantes, le festival de la Rochelle et celui du cinéma français d’Angoulême sans oublier celui des minorités de Douarnenez, les Journées du film italien de Tours semblent avoir trouvé toute leur place au sein du Grand Ouest.

Eudes Girard

Cinefil N° 53 - Mai-Juin 2017