Ermano Olmi est un des grands noms du cinéma italien et dans le même temps un cinéaste en marge. Il vient de nous quitter à l'âge de 86 ans. Si on célèbre le cinéaste récompensé d'une Palme d'or à Cannes en 1978 pour L'Arbre aux sabots, l'ensemble de son œuvre reste dans l'ombre. Pourtant cette œuvre a sa cohérence.

D'abord, géographiquement. Olmi est un homme du nord de l'Italie. Il naît à côté de Bergame puis part pour Milan où il est scolarisé et où il commence à être attiré par les Beaux-Arts. Mais la guerre frappe sa famille : son père meurt, sa mère se fait embaucher chez Edisonvolta. Après avoir abandonné ses études, c'est là que le jeune Ermano se fait embaucher. Il y fréquente le ciné-club, puis, lorsque l'entreprise lui offre une caméra, il filme le monde du travail dans une série de courts métrages. Nous sommes dans les années 50 et Olmi tisse ensemble trois éléments constitutifs de son cinéma : l'attention portée aux petites gens (ouvriers, paysans, prolétaires), la nature, grandiose et splendide, et le travail qui permet à l'homme de la maîtriser ou de la menacer. Son premier long métrage, Le temps s'est arrêté, que la Cinémathèque avait projeté en 2014, mettait en scène un étudiant et un gardien de barrage en haute montagne. Peu à peu, dans cet espace, le monde humain rythmé par le travail laissait la place à une autre temporalité, celle de la nature. Ce film s'attache à filmer ses acteurs non professionnels dans un récit ténu, rendant compte de la réalité sans dramatisation. On reconnaît là le projet néo-réaliste qu' Olmi va prolonger. Il avouera toujours sa dette à l'égard de Rossellini, le reconnaissant comme son maître et partageant le même point de vue, à savoir que le cinéma permet de comprendre l'homme et de l'aider à se comprendre.

Olmi rencontre le succès en 1978 avec L'Arbre aux sabots qui tisse l'universel de la condition humaine avec l'intimité des espaces réduits. Filmé dans sa région natale, avec des acteurs non professionnels, dans le dialecte bergamasque, le récit retrace quatre générations de paysans soumis à l'autorité des propriétaires. Dans ce film, le sentiment de la permanence du monde lutte avec les changements politiques. Le temps long relativise les changements, ramenant sans cesse l'homme à ses luttes et à sa soumission aux contraintes.

Après une période de silence, il retrouve le chemin des récompenses dans les années 80, notamment avec La Légende du Saint Buveur, Lion d'or à Venise, qui adapte une nouvelle de Joseph Roth. Il y montre toute la fragilité d'un homme qui doit rembourser sa dette mais n'y parvient pas à cause de sa dépendance à l'alcool. En 2001, le splendide Métier des armes relance sa carrière internationale. Il y raconte les derniers jours de Jean de Médicis dont l'armée est victime de l'artillerie de Charles Quint. Olmi filme chaque détail des armures, au plus près des corps, et dénonce ainsi la guerre comme la destruction des hommes par le perfectionnement technique.

Cet homme du nord s' était installé à Asiago, dans cette région des Dolomites où il envisage d'adapter les récits de Mario Rigoni Stern sur la Première guerre mondiale qui fit rage dans ces lieux. Il fera en 2014, sur la plateau d'Asiago, ce film sur les tranchées, Les Prés refleuriront, que le festival Viva il cinéma présenta en 2016. Loin de Rome, il se fait alors cinéaste artisan, produisant ses films à l'écart et entouré d'amis. Il crée une école de cinéma à Bassano. Ainsi Olmi a montré que faire du cinéma n'était pas se mettre au service des grands studios et de l'économie à grande échelle, mais qu'une pratique humaniste pouvait perdurer. Il est bon qu'elle soit reconnue par les festivals et le public.

Laurent Givelet

Cinefil N° 56 - Mai/Juin 2018