Patricio Guzmán , cinéaste chilien du devoir de mémoire, était présent au Festival de Biarritz…

Patricio Guzmán est un réalisateur chilien, né le 11 août 1941, exilé à Paris après le coup d’état de Pinochet et dont l’œuvre cinématographique est constituée de documentaires qui sont autant de témoignages forts sur l’histoire et la mémoire de son pays.

De 1966 à 1969, Patricio Guzmán quitte le Chili pour étudier le cinéma à Madrid à l’École Officielle de l’Art Cinématographique.  Quand il revient à Santiago du Chili, le pays se prépare à des élections présidentielles et le 4 septembre 1970, contre toute attente, Salvador Allende, à la tête de l’Unité Populaire, est élu Président du Chili. Salvador Allende lance alors les réformes promises dans son programme : nationalisation des banques et des mines de cuivre, réformes agraires. L’enthousiasme pour les réformes promises et réalisées se heurte vite à la violence de l’opposition de droite, largement soutenue par les États-Unis. La suite est tristement connue : le 11 septembre 1973, la dictature militaire, en la personne d’Augusto Pinochet, s’abat sur le Chili et plonge pour longtemps le pays dans l’horreur.

En octobre 1972, onze mois avant le coup d’État militaire, Patricio Guzmán entreprend un tournage sans précédent, qui a pour titre La Bataille du Chili. Sa caméra suit au plus près les événements, les réunions politiques, les prises de paroles, les témoignages, les réactions, et filme, en de longs plans séquences, la lutte des classes jusqu’à l’issue fatale. La Bataille du Chili n’est pas un film d’archives mais une œuvre filmée au moment même des événements par une équipe de cinéastes qui ont travaillé sans interruption pendant onze mois. Á l’époque, il était impossible de trouver des pellicules au Chili. Le cinéaste français, Chris Marker, qui était aussi le conseiller et le collaborateur de l’œuvre, a offert dix-huit heures de pellicules que les choix judicieux de Patricio Guzmán ont rendues inoubliables et qui lui ont permis de réaliser cette fresque historique sans précédent.

La Bataille du Chili est une œuvre monumentale et engagée, jamais didactique ou manichéenne, mais plutôt une implacable dissection des événements qui ont conduit à la chute de l’Unité Populaire. Le documentaire qui dure presque cinq heures raconte en trois parties la chronique annoncée de la chute du gouvernement de Salvador Allende. D’après Patricio Guzmán, ce film est « la preuve cinématographique, jour après jour, de l’agonie d’une expérience révolutionnaire qui touche le monde entier parce qu’elle se présente comme une expérience pacifique du passage au socialisme. »

Patricio Guzmán a été arrêté le 16 septembre 1973, conduit au Stade National de sinistre mémoire, menacé d’exécution puis relâché le 30. Il a quitté le Chili quinze jours après, avec un billet payé par ses anciens collègues de l’École de Cinéma de Madrid. Les bobines du film ont été sauvées grâce à l’Ambassade suédoise où Patricio Guzmán avait un contact et il a pu les récupérer à Stockholm quelques mois après.
Le directeur de la photographie, Jorge Müller Silva, a été enlevé par la police de Pinochet en 1974 et il fait partie des 3000 personnes « disparues » à l’époque.

Le montage, long et laborieux, a été possible avec l’appui de l’Institut Cinématographique cubain, grâce à l’intervention, encore une fois, de Chris Marker. Au bout de six ans, en 1979, le film est monté et connaît un succès international. Pour la revue américaine, Cinéaste, La Bataille du Chili est l’un des dix meilleurs films politiques du monde.

En 1997, Patricio Guzmán revient au Chili avec, dans ses bagages, La Bataille du Chili, qu’il montre en toute discrétion (le film est interdit au Chili) à des étudiants qui ignorent tout du passé de leur pays. Certains ne veulent rien savoir du passé, d’autres sont en état de choc, notamment un jeune étudiant qui pleure à gros sanglots quand il se souvient que ce jour-là, le 11 septembre 1973, il a sauté à pieds joints de joie sur son lit parce qu’il n’y avait pas d’école. Patricio Guzmán enregistre et filme sa démarche et ce sera Chili : la mémoire obstinée, un documentaire de 58 mn.

D’autres films suivront toujours en relation avec le Chili et la mémoire douloureuse de ce pays : Le Cas Pinochet, Salvador Allende et la magnifique trilogie, La Nostalgie de la Lumière, qui fouille la mémoire du passé dans les sables du désert d’Atacama, Le Bouton de Nacre, qui la traque dans la lointaine Patagonie, et le dernier opus présenté au Festival de Biarritz, La Cordillère des Songes.  Dans ce dernier film, Patricio Guzmán présente comme un double de lui-même, Pablo Salas, un cinéaste qui a pris en quelque sorte le relais de La Bataille du Chili, en accumulant une quantité impressionnante d’images d’archives sur la résistance au régime de Pinochet et les exactions de la Junte. Aujourd’hui encore, il continue à filmer les soubresauts du Chili contemporain et au vu des événements qui enflamment le Chili en cette fin d’octobre, on peut l’imaginer caméra au poing, témoin courageux et déterminé d’une histoire en train de se faire sous ses yeux.

Catherine Félix

Cinéfil N° 59 - Décembre 2019