Si le festival Cannes 1939 (voir cinéfil n°59) a primé en novembre dernier de grands films qui sont encore dans toutes les mémoires (M. Smith au sénat de Frank Capra, Alexandre Nevski de Sergueï Eisenstein, Elle et lui de Léo McCarey), il a permis aussi de découvrir quelques films plus rares qui, sans être des chefs d’œuvre, n’en sont pas moins des films d’un réel intérêt.

 Il faut citer Petit Gamin de Detlef Sierk. Ce film met en scène un jeune garçon qui vit de petit larcins dans une zone portuaire de Rotterdam au début du 20e siècle et ne rêve que d’une chose : pouvoir monter un jour dans un bateau pour rejoindre l’Amérique. Le réalisateur caressait lors du tournage le même rêve que son héros puisqu’ayant quitté en 1937, l’Allemagne nazie avec son épouse d’origine juive, il n’attendait qu’une chose : pouvoir embarquer lui aussi sur un bateau à destination des États-unis. Il y parviendra, sans même attendre la sortie de ce dernier film et prendra à son arrivée outre Atlantique le nom de… Douglas Sirk. Petit Gamin est donc le dernier film européen du grand cinéaste alors en exil, immensément connu pour les grands films qu’il réalisera dans les années 50 tels que Tout ce que le ciel permet, Écrit sur du vent, Le Temps d’aimer et le Temps de mourir, etc.

Pour son intérêt technique et de mise en scène, le film Quatre plumes blanches de Zoltan Korda mérite le détour. Ce film d’aventure a été tourné en Angleterre et au Soudan, principalement au bord du Nil. Il s’agit d’un des premiers films européens tourné en technicolor et les images sont envoutantes. Il faut dire que le générique de ce grand film a de quoi impressionner : George Périnal et Jack Cardiff à la photographie (le premier a travaillé avec Grémillon, Clair, Cocteau, Chaplin, le second avec Hitchcock et Mickael Powell), Vincent Korda à la direction artistique ou encore Miklos Rozsa à la musique et dont on reconnaît déjà le style (comme Zoltan Korda il partira lui aussi aux États-unis et ses musiques de films accompagneront de nombreux péplum). Tout en étant adapté d’un roman à succès anglais (on compte au moins quatre adaptations cinématographiques), le film fait ici référence à la mise sous protection britannique du Canal de Suez après la première Guerre mondiale.

Citons enfin, Veillée d’amour de J. M. Sthal, avec Charles Boyer et Irene Dunne, les deux acteurs qui ont permis à Léo McCarey de remporter un vif succès avec son célèbre Elle et Lui (cette première version avait d’ailleurs été sélectionnée à ce qui aurait dû être le premier festival de Cannes en 1939). Il faut dire que devant l’engouement du public pour ce couple mythique, Universal pensa flairer la bonne affaire en produisant une autre belle histoire d’amour entre un Charles Boyer en célèbre pianiste français et une Irene Dunne en serveuse de restaurant. Si la belle Irene est nettement moins convaincante en serveuse qu’en bourgeoise, si le film, adapté d’une nouvelle de James Cain, hésite entre deux histoires, une d’amour et une autre sur fond de grève et de syndicalisme, il n’en offre pas moins un très agréable moment de cinéma, avec de touchantes références à la situation en Europe en 1939.

Bref, trois films qui méritaient d’être sortis de l’oubli et qui pourraient, espérons-le, être un jour réédités.

Agnès Torrens

Cinéfil N° 60 - Février 2020