Sous le titre générique Je me souviens, nous vous proposons la chronique d’un film qui, pour quelque raison que ce soit, a marqué durablement l’esprit et le cœur d’un spectateur. Au jourd’hui : La Strada de Federico Fellini.

Année 1965, j’ai bientôt seize ans, je suis en Philo et je découvre le ciné-club de mon lycée. Mes connaissances cinématographiques sont limitées, quelques films de cape et d’épée avec Jean Marais, quelques films ringards au cinéma de mon quartier le samedi soir avec mes parents. C’est la Strada de Fellini qui ouvre le programme de l’année. La projection a lieu dans une salle de classe où trônent projecteur et écran sur pied. Je m’assieds… Les lumières s’éteignent et le faisceau du projecteur éclaire l’écran. Je suis aussitôt subjuguée par le réalisme magique et la beauté des images en noir et blanc du film. Me reviennent en mémoire certains romans pour la jeunesse que j’ai dévorés autrefois, le monde des saltimbanques, l’itinérance des roulottes, cet univers de cirque pauvre et populaire. Et encore aujourd’hui, cela reste toujours un thème de prédilection pour moi… Mon cœur se prend d’une étrange compassion pour l’héroïne du film, Gelsomina. Visage lunaire, expression émerveillée et comme surprise à la fois d’être là, qui fascine le Fou, un autre personnage du film, lunaire lui aussi, funambule aérien et moqueur, qui a compris, dans ce visage, l’essence même de l’âme de Gelsomina. Mais Gelsomina appartient à Zampano qui l’a achetée et arrachée à sa famille, brute épaisse qui ne sait que briser les chaînes dont il enserre son poitrail devant le public et qui ne comprend rien à ce Pierrot qui l’accompagne et qui lui sert de faire-valoir. Je n’ai jamais rien ressenti de pareil et quand le drame se noue, je pleure à chaudes larmes derrière mes lunettes. La musique de Nino Rota n’est pas non plus étrangère à ce flot d’émotion qui me submerge quand, à la fin du film, Zampano s’effondre sur la grève, le cœur enfin débarrassé de ses chaînes, et découvre trop tard qu’il aimait Gelsomina. J’aurais plusieurs fois l’occasion de revoir La Strada de Fellini et je pleurerai toujours. La dernière fois que j’ai vu le film, c’était dans le cadre du dispositif Collège au Cinéma 37. J’avais très peur de ressortir de la salle le visage bouffi de larmes et j’ai prévenu mes élèves ! Mais pendant la séance j’ai réussi à maîtriser mes émotions et je n’ai pas versé une larme ! Les élèves étaient bien déçus et moi aussi, car c’était comme si la magie émotionnelle du film s’était définitivement évanouie.

Le film est programmé à la Cinémathèque cette année… Comment le reverrai-je ? Les yeux secs ou les yeux mouillés ?!

Catherine Félix

Cinéfil N° 60 - Février 2020