Depuis plus de vingt-cinq ans, l’option Cinéma-Audiovisuel propose aux élèves du Lycée Balzac un parcours complet consacré à l’histoire, aux techniques et au langage du cinéma mais également à sa pratique. Nous avons rencontré, Thomas Anquetin, l’un des trois enseignants en charge de cet enseignement, afin d’échanger avec lui sur le contenu et les objectifs de celui-ci.

En quoi consiste pratiquement lenseignement du cinéma au lycée ?

L’option cinéma-audiovisuel est proposée aux élèves dès leur entrée en Seconde, et peut être poursuivie en Première et en Terminale, soit en option, soit en spécialité. Pour ce qui est du contenu proprement dit, il se compose de deux volets répartis de manière à peu près égale. Un premier proprement théorique qui passe par l’analyse de films et par l’apprentissage de l’esthétique et de l’histoire du cinéma. Le second est un volet pratique : chaque élève, qu’il soit en option ou en spécialité, produit entièrement un film, de l’écriture jusqu’au montage, qui est ensuite projeté en public.

En tant que professeur de cinéma te sens-tu plus proche dun professeur de littérature, dhistoire ou darts plastiques, voire de philosophie ?

L’enseignement du cinéma présente des points communs avec toutes ces disciplines. Arts plastiques, puisque nous essayons d’exercer le regard des élèves, par l’analyse d’image, à une dimension esthétique et artistique. Histoire, parce que nous étudions celle du cinéma et que l’analyse des films ne peut évidemment pas se faire sans comprendre le contexte de production des œuvres et leurs implications historiques. La littérature, parce qu’on trouve de grandes similitudes dans la conduite d’un scénario et dans l’analyse des récits. Et puis philosophie, pourquoi pas, parce qu’un film peut nécessiter ou justifier une approche philosophique, soit dans le sujet qu’il aborde soit dans ses implications. Mais nous sommes surtout et avant tout professeurs de cinéma.

En ce qui concerne lanalyse des œuvres, sagit-il d’étudier en priorité ce que le film peut dire ou ce que le film veut dire ?

La question appelle une double réponse. D’abord, nous sommes dans une esthétique de la production, car il est indispensable de comprendre comment se fait un film. Les parties théorique et pratique que j’évoquais sont étroitement liées. C’est en analysant des films que les élèves vont comprendre, dans un premier temps, comment ils sont réalisés et, par la suite, être capables d’en réaliser eux-mêmes. Et vice versa : la pratique leur permet également d’affûter leur capacité d’analyse des films. En cours d’année, la progression des élèves à ce sujet est vraiment notable. Ensuite, et c’est quelque chose qui m’importe beaucoup, nous faisons en sorte d’être le moins possible, avec les élèves, dans une analyse de l’intention et de privilégier une analyse de la réception. Dans un film, comme dans toute œuvre d’art, le réalisateur fait 50% du travail et l’autre moitié, ce sont les spectateurs qui la font. Donc, plutôt que de se poser la question : « pourquoi le réalisateur a-t-il voulu faire ça ? », je demande aux élèves de se poser celle des effets : quels effets cela produit, comment le spectateur les reçoit et quelles émotions il y met. C’est à mon avis de ça que doit procéder l’analyse des films.

Cela suppose de trouver le bon équilibre entre la transmission de savoirs et la transmission de méthodes.

Nous sommes d’abord obligés de donner aux élèves des outils. Même si c’est indigeste, ils doivent apprendre beaucoup de vocabulaire technique, être capable de nommer un travelling, un panoramique, les différentes échelles de plan, etc., et tout cela crée un cadre assez contraignant pour eux, qui peut leur donner l’impression qu’on est, encore une fois, dans une esthétique de la production. Mais en fait celle-ci ne s’applique véritablement qu’à la partie technique. Par la suite, nous essayons de comprendre comment cette technique est mise au service de significations qui, elles, ne sont jamais réductibles à la volonté d’un auteur. Cette approche, les élèves devront du reste se l’appliquer à eux-mêmes puisque, quand ils seront interrogés à l’oral du bac sur les films qu’ils ont réalisés, il leur faudra expliquer leurs intentions et mesurer, dans les échanges qu’ils auront avec les examinateurs, l’efficacité ou non de la mise en forme de ces intentions.

Est-ce quil existe un profil type de l’élève de section cinéma ?

Je ne crois pas. Jusqu’à une période récente, la spécialité cinéma était adossée exclusivement au bac littéraire, contrairement à l’option qui était ouverte aux élèves de toutes les sections. Depuis la réforme du lycée, les séries ont disparu. Les élèves ont un tronc commun et doivent choisir, en fonction éventuellement de leur choix d’avenir, mais aussi leurs goûts, trois spécialités en première dont deux seront maintenues en Terminale. Cette réforme, qui est par ailleurs très discutable, a conduit à une forte augmentation des effectifs de la spécialité cinéma – multipliés par trois, au moins, en Première – et donc forcément à une plus grande variété des profils. Nous continuons d’accueillir des élèves plutôt littéraires mais pas seulement. Certains choisissent des spécialités scientifiques, et pour la troisième, se tournent vers le cinéma. Cette diversité est une très bonne chose.

Quen est-il de leur rapport au cinéma et, plus particulièrement, aux « classiques » ?

Il n’y a pas non plus de profil cinéphilique type. Quelques élèves ont une connaissance assez pointue du cinéma de patrimoine, d’autres non. Mais tous les élèves sont conscients que le choix d’une spécialité cinéma induit une connaissance cinéphilique ou en tout cas la construction d’une cinématographie personnelle un peu patrimoniale. Le partenariat avec la Cinémathèque favorise évidemment cette démarche. à raison d’une cotisation annuelle assez minime, les élèves bénéficient d’un accès gratuit à toutes les séances de la Cinémathèque et nous constatons qu’un nombre important et croissant d’entre eux est présent presque systématiquement tous les lundis. Je pense qu’ils mesurent l’intérêt de connaître le cinéma de patrimoine pour apprécier les films plus récents mais aussi pour faire du cinéma.

À ce propos, quelle est la proportion d’élèves issus de la section qui poursuivent des études supérieures de cinéma ou qui travaillent par la suite dans ce secteur ?

Je n’ai pas de statistiques exactes à ce sujet. Ce que je peux dire c’est que l’année dernière sur les élèves que j’avais en spécialité en Terminale, plus de la moitié se sont orientés vers des études en rapport avec le cinéma ou l’audiovisuel de manière large, que ce soit à l’université, dans des écoles spécialisées, des BTS, ou dans le domaine de la communication. D’anciens élèves nous rapportent que, quand ils entreprennent par exemple des licences professionnelles de communication, ce qu’ils ont pu apprendre en section cinéma leur est vraiment profitable. Le fait d’avoir déjà écrit des récits de cinéma, d’avoir appris à penser l’image, d’avoir étudié le rapport du langage à la subjectivité, les aide beaucoup. Certains élèves intègrent la section cinéma avec en tête une idée de cursus très précise. D’autres sont mus simplement par la curiosité, sans avoir envie de faire ultérieurement des études de cinéma. Mais quelles que soient leurs motivations, les élèves sont très investis dans la spécialité.

Dans la mesure où il nexiste ni agrégation ni CAPES de cinéma, quelle formation un professeur intervenant en section Cinéma-Audiovisuel suit-il ?

Un professeur de cinéma au lycée est nécessairement bivalent. Il est d’abord recruté dans une matière d’origine et ensuite peut passer une certification complémentaire qui lui permet de postuler sur les postes de cinéma-audiovisuel. Si elle est indispensable pour enseigner le cinéma, il n’y a pas de formation spécifique pour l’obtenir. Certains enseignants ont fait des études de cinéma, d’autres sont des autodidactes complets et s’appuient sur leur cinéphilie, sur le contact avec d’autres enseignants ou sur leur connaissance du terrain, par exemple. Au lycée Balzac, sur les trois enseignants de cinéma, deux sont des professeurs d’anglais et le troisième, de lettres. Mais n’importe quel professeur, quelle que soit sa matière originelle, peut être professeur de cinéma. Sous réserve qu’il ait obtenu la certification.

Comment es-tu passé de la littérature au cinéma ?

Par intérêt et par passion. J’ai fait des études de littérature et passé les concours pour devenir enseignant. Lors de ma première année d’exercice, en tant que professeur de lettres donc, j’ai obtenu la certification de cinéma avec, pour tout bagage, ma passion du cinéma et l’expérience acquise sur des tournages auxquels j’ai participé. Cette connaissance du terrain m’a d’ailleurs été très utile lorsqu’il a fallu accompagner les élèves dans la réalisation de leurs courts-métrages.

Outre ton travail denseignant, tu présentes régulièrement des films à la Cinémathèque et interviens dans une émission radiophonique consacrée à lactualité cinématographique. À force de décortiquer les films, est-ce que tu arrives encore à te laisser emporter par les images ou lhistoire sans penser forcément à la construction ?

Comme je vais beaucoup au cinéma dans la perspective de l’émission, en sortant de la séance je me pose toujours la question de savoir si j’ai aimé ou pas le film et pourquoi. Mais c’est toujours a posteriori. Pendant la projection, je suis évidemment très attentif à l’esthétique et à la technique employées, mais ça ne bride en rien mon émotion. D’ailleurs ce ne sont pas forcément les films les mieux faits qui m’émeuvent le plus. Depuis que je mène une petite activité de scénariste pour le cinéma, je me laisse encore plus facilement bercer par les films. J’ai besoin que l’émotion parle en premier. Si ce n’était pas le cas, je ne suis pas sûr que je serais capable d’en écrire.

Pour finir, linévitable question : quels sont tes films favoris ?

Plus que des films précis - car il y aurait beaucoup trop à citer ! -, ce sont des cinéastes qui me touchent. Je pense là à Éric Rohmer, que j’ai découvert assez tardivement. J’aime énormément son intransigeance, sa volonté d’être réaliste sans pour autant se passer de la littérature, et, par suite, d’un langage qui est aussi celui des livres. Évidemment ses personnages ne parlent pas “comme dans la vie” mais ce n’est pas pour autant qu’ils ne disent pas quelque chose de la vie. Il y a une dimension proustienne chez Rohmer, dans sa façon d’aborder la complexité de la vie par la complexité du langage et d’être sans cesse ancré à son époque. Ça, ça me plait énormément. Mais je suis également très friand des films de genre, les films noirs par exemple, et n’ai aucun goût exclusif !

entretien réalisé par Olivier Pion

Cinéfil n°64 - décembre 2021