Écrivain né à Paris en 1959, Jérôme Hesse, après une longue carrière de journaliste, éditeur, communiquant et responsable associatif, a récemment pris sa retraite à Tours. Il est l'auteur de plusieurs romans, essais et recueils de chroniques. J Hesse nous parle ici notamment de la Cinémathèque de Chaillot et d'Henri Langlois, son voisin.

Je n'ai jamais écrit pour ou sur le cinéma, il a pourtant structuré ma vie bien plus que je ne le pensais. Ma vie d'enfant solitaire et rêveur, tout d'abord. Dans les années 60 de mon enfance, même à Paris, même quand on avait la télé, on n'avait qu'une chaîne en noir et blanc, pas d'internet, on lisait et on écoutait la radio. Et on allait au cinéma. La sortie au ciné était un événement, comme le film de cape et d'épée du dimanche après-midi à la télé avec Jean Marais ou Errol Flynn, le dos nu d'Angélique l'invitation aux émois pré-adolescents, le rire insolent ou désespéré de Gérard Philipe l'appel de la beauté et du panache. On pouvait s'identifier. À Noël, rituel du nouveau Disney, c'était le temps des grands classiques. Dans mon quartier vivaient Jean Gabin, Arletty ou Marcel Dalio, l'inoubliable de La Règle du jeu. Je les croisais parfois, ils étaient déjà âgés mais tout le monde les reconnaissait, surtout Gabin qui faisait tout pour qu'on ne le reconnaisse pas. J'ai grandi avec les films policiers français et américains de cette époque, voyagé avec le grand cinéma italien et découvert que ma mère, belle, fantasque et quelque peu impérieuse, avait à la fois le physique et le tempérament d'une Anna Magnani, Sophia Loren ou Silvana Mangano. Mais après tout, une partie de sa famille était italienne, alors... J'étais moi-même, dès l'âge de 9 ans, directeur d'une salle privée, dans le salon familial, puisque j'organisais des projections de films de Charlot, les préférés de mon grand-père, qui m'avait non seulement prêté son projecteur Pathé Baby, mais a tenu à payer sa place (5Frs) pendant que j'installais l'écran, les chaises, que je calais la première bobine... grand souvenir.

La Cinémathèque

Puis ce fut le basculement. Dans mon quartier il y avait certes quelques cinémas, et les Champs Élysées pas loin, mais il y avait surtout, dans les entrailles du palais de Chaillot, près du Trocadéro, une cinémathèque, LA Cinémathèque, et j'y ai tout simplement fait mon éducation réelle de cinéphile, entre 1974 et 1982. J'y ai vu de grands classiques français et américains, de nombreux films de science-fiction, des films internationaux de très grands réalisateurs, visité le Cabinet du docteur Caligari dans un petit musée sur place de l'expressionnisme allemand, frémi devant la tête momifiée de la mère de Norman Bates de Psycho, directement envoyée à Henri Langlois par Hitchcock, en hommage pour son rôle si éminent dans le monde du cinéma. Et j'y ai vu, plus d'une fois, Henri Langlois lui-même. Pour être honnête, je ne savais pas du tout qui il était mais il était impossible de ne pas le voir, et lorsqu'avec sa compagne, Mary Meerson, il traversait les jardins du Trocadéro pour se rendre à la Cinémathèque, la vision de ce couple déjà âgé, à la corpulence quelque peu imposante et au style résolument artistique, était inattendue pour un jeune bourgeois bien peigné et propre sur lui (moi). J'ai fini par comprendre qui ils étaient, quel était leur lien avec la Cinémathèque, avec tout simplement l'histoire du cinéma. Et même si du haut de mes 16 ans je n'ai jamais osé les aborder, j'évoquerai dans une prochaine chronique ce que la fréquentation de la Cinémathèque de Chaillot a apporté à mon futur imaginaire d'écrivain, et quels films m'ont particulièrement marqué.

Jérôme Hesse

Cinéfil n°64 - décembre 2021