De fin septembre 2021 à mi-janvier 2022, le musée d’Orsay a proclamé « Enfin le Cinéma » (Arts, images et spectacles en France, 1833-1907). Le projet – réussi – de cette exposition était d’illustrer l’émergence inéluctable en cette fin de 19ème siècle d’une nouvelle invention, le cinématographe.

Parler de cinéma au musée d’Orsay quelle bonne idée ! Ce temple du XIXe siècle, chargé d’Histoire et d’histoires, qui prêta ses décors à Orson Welles, Bernardo Bertolucci ou Jean-Pierre Jeunet, qui inspira Scorcese pour son Hugo Cabret, semble désigné pour évoquer l’inéluctable émergence de ce qui n’osait pas encore s’appeler 7e art.

Et puis Orsay c’est évidemment une gare, lieu de prédilection des récits filmiques. Depuis La Ciotat, de Paris à New York, de Mumbai au Caire, à la croisée des trajectoires, des joies et des drames de ceux qui partent ou reviennent, de ceux qui ne partiront jamais. C’est le mouvement, le rythme, la vie même. Le cinéma s’y sent bien.

Regardez comme les tableaux vivants des pantomimes, où des comédiens reproduisant des peintures ou sculptures célèbres, annoncent déjà le désir d’incarner et de représenter comme jamais la vie animée, de parfaire l’illusion.

La métamorphose des villes « à vue d’œil » en cette fin de siècle, la démocratisation des voyages appellent le mouvement. Le spectateur moderne voit le mouvement et vit en mouvement. Le public capté par l’incroyable spectacle urbain préfigure celui des salles de spectacles et singulièrement les foules des futures salles de cinéma.

Les nouveaux cadrages, angles de vue et hors champs des peintres esquissent ceux des prochains « cinématographistes ».

Recomposé artistiquement par les impressionnistes (Monet peint ses cathédrales quand les Lumière projettent leurs premiers films), décomposé scientifiquement par le chronophotographe d’Étienne-Jules Marey, le mouvement est présenté par tous comme la véritable nature du monde.

Les photographes remplacent les peintres pour « tirer le portrait » de la bourgeoisie. Des photographies de plus en plus expressives et vivantes au rythme des évolutions techniques, annoncent les gros plans cinématographiques.

Ces nouveaux arts visuels, photographie puis cinéma, manifestent leur fascination pour les expressions de la nature, l’animation du monde. En retour, peinture, sculpture ou danse (Loïe Fuller) s’approprient ces nouvelles images et ambitionnent de créer des formes inédites.

Pris dans des expressions de plus en plus frénétiques les corps des hommes et des femmes s’émancipent des représentations traditionnelles.

L’œil des spectateurs va s’accoutumer à de nouvelles propositions, s’émerveiller de la vie en déploiement.

Le mouvement était déjà là depuis les lanternes magiques, les attractions de type dioramas ou panoramas puis les jouets optiques comme l’émouvant phénakistiscope, le délicat zootrope, le petit folioscope ou le praxinoscope plus sophistiqué.

Mais le cinéma ne sera plus l’évocation, la symbolisation ou une approche du temps, il sera le temps lui-même.

Procédés couleur, bruitages et accompagnements phonographiques aidant, on s’approchera de plus en plus de l’illusion de la réalité.

Certains des premiers « cinématographistes » sauront se nourrir de la peinture d’histoire pour mettre en scène l’imaginaire collectif, présenter certains grands mouvements populaires de l’Histoire de France, s’inspirant des succès contemporains de la peinture militaire ou religieuse.

Des salles de cinéma, dédiées, vont apparaître, parfois magnifiques, vibrantes, spectacles en elles-mêmes, innovantes, rivalisant architecturalement avec les théâtres ou les music-halls.

Au sortir de cette exposition il est évident qu’Orsay s’accommode naturellement de l’aventure cinématographique. Orsay respire le cinéma. Celui des origines, lorsque parfois hésitant encore à s’émanciper de la représentation picturale, l’écran blanc s’ornait encore d’un cadre doré de tableau.

Retour aux tableaux donc.

Comme il sera désormais agréable dans ce magnifique espace d’admirer les œuvres de Jules Adler, Vallotton, Morisot, Caillebotte, Bonnard, en leur superposant les images de Daguerre, Nadar, Lumière ou Méliès.

Philippe Lafleure

Cinéfil n°65 - janvier 2022