Depuis une quinzaine d’années, le ciné-club des étudiants de l’Université de Tours propose, lors de projections-débat mensuelles, de découvrir ou de revoir des films dont la diversité de styles et de tons attise invariablement la curiosité enthousiaste des cinéphiles tourangeaux. Nous avons rencontré Delphine Robic-Diaz, Maîtresse de Conférences en Études cinématographiques et audiovisuelles du Département des Arts du Spectacle, pour échanger sur le fonctionnement de cette structure dont elle supervise les activités.

La vocation d’un ciné-club est traditionnellement de proposer à un public d’amateurs, des œuvres qui, pour des raisons techniques ou historiques, présentent un intérêt cinématographique notable. Comment celui de l’université compose-t-il entre cet objectif cinéphilique et le projet pédagogique dans lequel il s’inscrit ?

L’objectif de ce ciné-club est multiple. S’il s’agit de proposer une offre culturelle cinématographique au sein de l’université, en profitant du cadre exceptionnel de la salle Thélème, le but est également de sensibiliser les étudiantes et étudiants au patrimoine cinématographique dans une université qui ne dispose pas de cursus en cinéma et audiovisuel spécifique. À cet effet, les séances sont toutes suivies d’une rencontre-débat pour débriefer le film et donner des pistes de lecture et d’analyse. Enfin, la démarche consiste à mettre un outil au service d’une formation, en l’occurrence une programmation confiée aux étudiants de Master 1 Culture et Médiation des Arts du Spectacle qui ont quelques semaines pour formuler des propositions avec un débat de fin de séance.

Quel type de public assiste habituellement aux séances ?

Le public reste pour l’instant assez âgé, étant entendu que nous aimerions que davantage d’étudiants assistent aux séances, qui, je le rappelle, sont proposées en accès libre et gratuit, alors qu’ils ne sont généralement qu’une très faible minorité à être présents. En favorisant les goûts et les envies de programmation des étudiants, nous espérons graduellement rééquilibrer cette situation.

Les étudiants qui participent au ciné-club ont-ils un parcours cinéphilique particulier ?

Les étudiants qui animent les séances sont ceux qui ont choisi le film projeté. Ils viennent de tous les horizons et n’ont pas forcément de bagage particulier en termes de cinéphilie. Ils sont avant tout portés par l’envie de partager un film qu’ils aiment.

La programmation se fait-elle de manière individuelle ou collective ?

Chaque étudiant du Master 1 Culture et Médiation des Arts du Spectacle fait une proposition individuelle, non concertée avec les autres. Je leur donne un cahier des charges qui prend en compte la vie économique du film (notamment : intégrer la chronologie des médias), sa disponibilité (le ciné-club est adhérent à Interfilm et programme donc principalement, mais non exclusivement des films inscrits à ce catalogue), son intérêt pour un “tout public” allant des retraités aux étudiants, ou sa pertinence avec le label “ciné-club”. Et, bien sûr, ils doivent préciser l’accompagnement qu’ils proposent pour donner du relief à ce choix lors du débat qui suit la projection.

Je suppose que les propositions de films sont soumises à une validation de votre part. Sur quels critères se fait-elle ?

Les propositions font effectivement l’objet d’une sélection par mes soins en combinant les titres choisis par les étudiants du Master avec ceux proposés par d’autres étudiants d’autres filières. Un appel à candidature est lancé tous les ans, aux alentours du mois de mars, par le Service Culturel qui chaperonne cette programmation. A priori, les seuls films que j’écarte sont ceux dont la durée est incompatible avec le format du ciné-club, à savoir une ouverture de séance à 18h30 et une fin vers 21h, avec au moins une vingtaine de minutes accordées au débat. Je ne retiens pas non plus les films trop récemment sortis puisque les droits pour une diffusion publique sans billetterie pourraient ne pas être disponibles. Par ailleurs, le film venant à peine de quitter la salle, est-ce intéressant de transformer l’espace du ciné-club en salle de deuxième ou troisième exclusivité ? Je ne le pense pas. Après, il s’agit d’harmoniser les propositions pour éviter qu’un genre, une décennie ou une nationalité, soit trop représenté et que nous soyons bien en face d’une programmation la plus large possible, valorisant le champ le plus vaste possible de l’histoire du cinéma. Je fais parfois des propositions alternatives à certains dont je vois, à la lecture de leur projet, que c’est davantage un thème qu’un film qui les attire et que, par manque d’une vraie culture cinéphile, ils n’ont pas la ressource de se diriger vers des œuvres moins “évidentes”.

Ça ouvre un champ de programmation assez vaste qui permet, potentiellement, la présentation de films pas forcément labellisés “ciné-club”. Accepteriez-vous, par exemple, de présenter un film comme On se calme et on boit frais à Saint-Tropez ?

Je ne vois pas pourquoi je refuserais “par principe” la programmation de tel ou tel film. Ce qui m’intéresse, c’est la proposition globale qui est faite à partir du film. Alors, si un film de Max Pécas donne lieu à une mise en perspective socio-culturelle brillante du cinéma français des années 1980 - décennie réputée “creuse”, à l’esthétique “cheap” et concurrencée par la télévision et le nombre de ses chaînes en France qui explosent précisément entre 1981 et 1987 - pourquoi pas ?

De fait, la programmation de cette année, comme des précédentes, fait apparaître une grande diversité de styles, de genres et d’époques, mélange “grands classiques” et films plus confidentiels ou d’un abord a priori moins aisé, et propose même Plan 9 from outer space, considéré par certains critiques comme “le plus mauvais film de tous les temps”. Sans en dévoiler les motivations, qui seront sans doute précisées lors de la projection, qu’est-ce qui préside au choix d’un tel film ?

Une programmation, c’est un ensemble. Je compose, à partir des propositions des étudiants, le tableau global le plus hétérogène possible pour éviter de normer ce qu’est la cinéphilie. Nous ne sommes pas là pour jouer les ayatollah du bon goût, mais pour faire connaître des films et apprendre à les voir avec un maximum de clefs de lecture. Comme les propositions émanent principalement d’étudiantes ou d’étudiants destinés à travailler dans des instances culturelles pour faciliter l’accessibilité des œuvres, ce qui compte pour moi, c’est de lire dans leur projet, leur envie de faire découvrir un film et le discours dont ils sont capables pour amener le film jusqu’au public.

Entretien réalisé par Olivier Pion

Créé en 2006 à l’initiative de l’historienne de cinéma Valérie Vignaux, alors Maîtresse de Conférences au sein de l’université de Tours, le ciné-club regroupait initialement quelques étudiants cinéphiles qui présentaient chaque mois un film issu du fond de DVD de la bibliothèque universitaire. Repris en 2008, et pour la décennie à suivre, par Éric Rambeau qui en assure seul la programmation la première année, il est ensuite intégré à la formation Master – Culture et Médiation des Arts du Spectacle. Ce sont alors les étudiants qui, sous la direction de l’enseignant (par ailleurs directeur de la publication des Carnets du Studio), construisent une programmation autour d’un thème donné (le secret, la folie, les autres, décomposition/recomposition, …) et animent les débats qui suivent la projection du film qu’ils ont proposé. Arrivée à Tours, en tant que Maîtresse de Conférences en Études cinématographiques et audiovisuelles, en 2018, Delphine Robic-Diaz reprend, à la demande du Service Culturel de l’université, le poste de responsable du ciné-club à partir de 2019.

Cinéfil n°65 - janvier 2022