Jean DOUCHET - Le passeur

        Le personnage Jean Douchet en impose. Un physique de monument théâtral, large carrure et longue crinière blanche. Une personnalité hors normes, modestie et accessibilité en prime. Celui que l'on surnomme le « Socrate du cinéma » parce qu'il accouche le sens des films aux yeux des spectateurs, a traversé la nouvelle vague et la période Cahiers du cinéma aux côtés des Rohmer, Chabrol, Godard, Truffaut, Rivette, etc., avant de former les cinéastes d’aujourd’hui à l’IDHEC puis à la FEMIS. Enseigner : son rôle préféré, lui qui s'est assez peu frotté à la réalisation (1 seul long métrage à son actif : une commande). Nous l'avons rencontré à l'occasion de sa venue à Tours le 22 novembre lors d’une soirée en hommage à Eric Rohmer.

Aurélie Dunouau : Comment analysez-vous les films de Rohmer dont vous fûtes très proche ?

Jean Douchet : Il fut un cinéaste original, devenu un classique dans le monde entier. Néanmoins, il y a une incompréhension sur ses films. On croit souvent que c’est un auteur de comédie, à la Marivaux.  Mais ce dernier plaçait au centre de ses pièces un problème du pouvoir. Chez Rohmer, dans ses Contes moraux par exemple, ce n’est absolument pas du marivaudage, bien au contraire. C’est la morale qui en est le ressort. Elle signifie la conduite, le devoir, dans le sens du 18ème siècle. Les Contes d’automne font référence aux aléas du cœur.

A.D. : Pourquoi n’avez-vous pas suivi le chemin des réalisateurs de la nouvelle vague ?

J.D. : Je n’ai tout simplement pas eu l’envie de privilégier la réalisation. J’ai toujours préféré parler des films, essayer de transmettre ma passion du cinéma par ce biais. On m’a gentiment décoré du terme de « Passeur » et ce que je veux faire passer, c’est l’amour du cinéma ainsi que la compréhension des films. Ma méthode repose sur une idée simple : chercher à faire voir aux spectateurs ce qu’ils ont vu, pas ce qu’ils ont regardé ; leur faire comprendre qu’un film n’est plus le produit du hasard dès lors qu’une image est sur l’écran. Celle-ci résulte d’un choix qui constitue l’écriture du cinéaste bien plus que la trame narrative à laquelle se réfère souvent et exclusivement le spectateur (et quelques critiques).

A.D. : A l’IDHEC puis à la FEMIS, vous avez marqué toute une génération de jeunes cinéastes. Certains sont devenus les « grands » d’aujourd’hui. Après avoir exercé la critique dans Les Cahiers (entre autres) , vous poursuivez ainsi votre volonté d’enseigner aux autres comment voir les films ?

J.D. : C’est la même chose en effet. A l’IDHEC où je suis arrivé en 1969, après les événements que l’on connaît, j’ai été directeur des études. Il s’agissait de faire voir à ces jeunes futurs cinéastes les films, mais de manière plus poussée. Certains comme Arnaud Desplechin reconnaissent ainsi avoir appris à voir les films.

A.D. : Vous avez également enseigné à François Ozon et Xavier Beauvois, deux cinéastes dont les films rencontrent du succès actuellement. Quel regard portez-vous sur leurs films ?

J.D. : Je les aime beaucoup tous les deux. Ce que fait François Ozon est vraiment très bien, personnel. Mais il y a toujours des gens qui chipotent…J’irai voir « Potiche » avec envie. Xavier est quelqu’un de réaliste, très sensible, mais il refuse le sentimentalisme et ça c’est très fort. C’est ce qu’il a réussi dans « Des hommes et des Dieux »  et notamment la scène de la ‘’cène’’. C’est sentimental mais ce n’est pas du sentimentalisme. Quant à la fin, la disparition dans la neige, elle est magnifique, elle a du sens, c’est une scène où les personnages s’effacent, disparaissent dans le hors champ et c’est justement cette absence de traces qui laisse trace.  Ma stupéfaction réside dans son succès commercial. Le sujet n’est pas porteur, c’est un film d’auteur, comme quoi le succès d’un film n’est jamais artistique mais sociologique. Ce film a rencontré un public à un moment donné.

A.D. : Dernière forme de transmission dans votre carrière : votre implication au sein de la cinémathèque de Dijon. Quelle importance ont pour vous les cinémathèques ?

J.D. : Fondamentale ! Indispensable dans leur double rôle : la conservation et la projection des œuvres.  Soit la cave et la lumière. Cette double activité est indispensable car sinon qui conserverait des documents qui ont pu paraître inintéressants en leur temps et qui se révèlent au bout de 20-30 ans essentiels ?  N’oublions pas que certains films furent considérés au départ comme des navets, comme par exemple « Boudu sauvé des eaux » de Renoir et qui aujourd’hui font partie du patrimoine culturel mondial.

(NB : La cinémathèque de Bourgogne possède la totalité du fond Jean Douchet)

Propos recueillis par Aurélie Dunouau