Contrairement à ses homologues américain ou anglais, le cinéma français ne saurait pas s’emparer des thèmes d’actualité. Qu’en est-il vraiment de cet a priori bien souvent repris par les médias ? Est-il fondé, et jusqu’à quel point ? Ou relève-t-il du pur et simple cliché ?

La sortie du film Novembre, de Cédric Jimenez, en octobre 2022, et relatant les attentats du 15 novembre 2015, a provoqué sur les ondes radio et à la télévision le retour de ce lieu commun : « Pour une fois que le cinéma français se saisit de l'actualité, de l'histoire récente », toujours mis en comparaison avec le cinéma américain, qui serait coutumier du fait... Propos déjà entendu pour la sortie du film Bac nord, du même cinéaste, propos assez vite éclipsé par la polémique et la récupération politique que le film a entraînées. Lorsque j'ai entendu cette réflexion, il m'est tout de suite venu à l'esprit que le film Saint-Omer, d'Alice Diop, sorti en novembre 2022, et lauréat du Grand Prix à la dernière Mostra de Venise, relatait un fait divers relativement récent et qui a ému notre pays, mais vous me rétorquerez que l'affaire Fabienne Kabou date de 2013 et que le procès a eu lieu en 2016, six ans donc avant la sortie du film. N'oublions pas alors Notre-Dame brûle, de Jean-Jacques Annaud, sorti en 2022, qui relate l'incendie de Notre-Dame de Paris le 15 avril 2019, donc un peu moins loin dans le temps. Je me suis alors mis à la recherche de films français inspirés d'un événement et sortis au même moment que lui ou juste dans la foulée.

Les affaires judiciaires

En 1899, Pathé frères crée une série de sept films sur l'affaire Dreyfus, dont les procès ont eu lieu en 1896 et... 1899 ! Cette même année, Georges Méliès sort son premier film politique, sobrement intitulé L'Affaire Dreyfus, dans lequel il joue le rôle de l'avocat Labori, montrant le parti qu'il a choisi lors de cette affaire. L'acquittement d'Alfred Dreyfus, lui, date de 1906. Deux ans plus tard est réalisé le film lui aussi intitulé L'Affaire Dreyfus, de Lucien Nonguet. D'autres affaires judiciaires seront également adaptées au cinéma. Mourir d'aimer d'André Cayate (1971), relatant l'histoire d'une enseignante qui tombe amoureuse d'un élève de seize ans, son procès et son emprisonnement, sort en salles un an et demi après le suicide de Gabrielle Russier, dont l'histoire a inspiré le film. Nous pourrions encore évoquer Le Pull-over rouge, de Michel Drach, sorti en 1979, qui relate l'affaire de l'avant-dernier condamné à mort en France Christian Ranucci, exécuté en 1976. En 2002 sort L'Adversaire, de Nicole Garcia, d'après le livre d'Emmanuel Carrère, mais surtout d'après l'affaire Romand (cet homme qui a tué sa famille pour cacher qu'il n'était pas médecin) qui a eu lieu en 1993 et a été jugée en 1996. Le film L'Emploi du temps, de Laurent Cantet, sorti en 2001, fait aussi indirectement référence à cette affaire. 

Les deux guerres mondiales

Les deux événements les plus importants du XXe siècle sont sans nul doute les deux conflits mondiaux. Deux cinéastes, et pas des moindres, vont s'attaquer à la Première Guerre mondiale : Louis Feuillade, avec Le Noël du poilu, en 1916, dans lequel un soldat français rentre chez lui, en permission, pour passer Noël avec sa femme et sa fille, dans le nord de la France occupé par les Allemands ; et Abel Gance, qui réalise J'Accuse en 1919, dans lequel il dénonce les horreurs de la guerre en reprenant le titre de l'article de Zola, à travers l'histoire de deux soldats amoureux de la même femme qui sera, elle, violée par les Allemands. Survolons rapidement les films de commande relatant la période du Front populaire comme La Vie est à nous (Jean Renoir, 1936) et arrivons directement à la Seconde Guerre mondiale. La liste des films relatant cette période est très longue et nous ne pourrons pas tous les évoquer. Néanmoins, nous remarquons que La Bataille du rail, de René Clément, sur la résistance des cheminots, et Les Portes de la nuit, de Marcel Carné, qui évoque directement la fuite des « collabos » juste après la guerre, sortent l'année suivant l'armistice. S'ensuivent Les Bataillons du ciel, d'Alexander Esway, sorti en 1947, d'après le livre de Joseph Kessel relatant les batailles menées par les parachutistes de la France libre. Je pense que nous pouvons ajouter Le Silence de la mer, de Jean-Pierre Melville, d'après Vercors, sorti en 1949, évoquant la cohabitation d'un vieil homme et de sa nièce avec un officier allemand. Je pourrais même continuer avec Jeux interdits de René Clément mais ce dernier sort douze ans après l'Exode de 1940, donc peut-être un peu trop éloigné de l'événement.

La décolonisation

À la suite de la Seconde Guerre mondiale viennent les guerres de décolonisation. Évoquée dans Les Rendez-vous des quais de Paul Carpita (1955), nous retrouvons la guerre d'Indochine dans nombre de films contemporains du conflit : Mort en fraude de Marcel Camus, Patrouille de choc de Claude Bernard-Aubert et La Rivière des trois jonques d'André Pergament, tous les trois réalisés en 1957. La 317e section, de Pierre Schoendorffer, relatant la bataille de Dien Bien Phu (1954), sort donc onze ans après les événements mais reste un témoignage important puisque le réalisateur en est un témoin direct. En ce qui concerne la guerre d'Algérie, terminée par les accords d'Évian en 1962, notons Le Petit Soldat, de Jean-Luc Godard, réalisé en 1961 mais interdit jusqu'en 1963, Le Combat dans l'île d'Alain Cavalier, en 1961 aussi, Adieu Philippine de Jacques Rozier, en 1962, La Belle Vie de Robert Enrico, sorti en 1963, un an après la signature des accords, et je pense que nous pouvons ajouter à notre liste Muriel ou le temps d'un retour d'Alain Resnais, en 1964, et, bien sûr, Les Parapluies de Cherbourg, de Jacques Demy, qui remporte la Palme d'or du festival de Cannes la même année. Alain Cavalier réalise de nouveau un film sur le sujet cette année-là, L'Insoumis. Les Têtes brûlées, de Willy Rozier, sorti en 1967, est sans doute trop éloigné de la guerre d'Algérie pour être ajouté à notre liste.

D'autres guerres émaillent le XXe siècle et le cinéma les a relatées en leur temps, comme la guerre de Croatie (1991-1995) que l'on retrouve dans le film N'oublie pas que tu vas mourir, sorti en 1995, avant la fin du conflit, qui avait déjà été l'objet du film Casque bleu, de Gérard Jugnot, sorti l'année précédente.

Les films politiques

Nous pouvons terminer notre réflexion avec les films qui sont au fait de l'actualité politique en commençant par La Bataille de Solferino, de Justine Triet, sorti en 2013, relatant le deuxième tour des élections présidentielles de 2012 au siège du PS. La Conquête, de Xavier Durringer, sorti en 2011, montre l'arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy alors que ce dernier est encore président de la République. En 2021, Anne Fontaine réalise Présidents, un film dans lequel Nicolas Sarkozy et François Hollande créent une coalition qui pourrait, selon eux, être la seule alternative à Marine Le Pen, n'imaginant pas Emmanuel Macron l'emporter à l'élection présidentielle de 2022. En 2022, justement, Gustave Kervern et Benoît Delépine sortent En même temps, où un maire de droite et un maire de gauche se trouvent collés ensemble, faisant ainsi une métaphore satirique de la présidence d'Emmanuel Macron, le titre du film étant son expression favorite.

Pour conclure, nous pouvons dire que, même si les clichés ont la dent dure, cette liste non exhaustive, que vous compléterez vous-même, prouve que l'accusation régulièrement entendue n'est, pour moi, pas fondée pour le cinéma français. Mais ne me faites pas écrire ce que je n'ai pas écrit, je n'irai pas jusqu'à dire qu'il s'agit là d'une tradition du cinéma français, mais juste montrer que ces lieux communs n'ont pas lieu d'être. Maintenant, à vous de jouer, soit pour étayer mon propos, soit pour essayer de me contredire...

Donatien Mazany

Cinéfil n°69 - Janvier 2023