Un Carné / Prévert comique ! Bizarre, Bizarre ! Vous avez dit Bizarre, Bizarre !..
      Dans un décor de contre-plaqué, de vrais grands acteurs jouent un vaudeville boulevardier qu'auraient, sans aucun doute, beaucoup apprécié Labiche et Courteline...

      Une farce comico-perverse, où les protagonistes pratiquent le mensonge comme ils boivent du lait ou du whisky, en vertu des principes de classe et du paraître allant avec. Une histoire british superbement adaptée à la langue française par les maîtres joailliers des images et des mots, le tandem, alors inoxydable, Carné / Prévert...
      Quelques ''grandes gueules'' de l'époque venues du théâtre, du music-hall et du cinéma, certains des trois à la fois, s'affrontent dans la démesure d'un jeu grand-guignolesque désopilant dont ils ont le talentueux secret...

      Un Jouvet en archevêque anglican cynique, diablement accusateur et moraliste qui, malgré tout, vu sa ribambelle de mômes, pratique sans retenue une procréation intensive avec sa mégère...
      Sa réapparition, vêtu d'un kilt écossais, dans ''la maison du crime qui n'a pas eu lieu'', est du meilleur cru ''jouvetien''...
      Son ''cher cousin Molyneux'', un Michel Simon aux grimaces grandioses, en botaniste-bucolique autant que ''méphistofélien'', poussé au plagiat littéraire par une nécessité conjugale nommée Margaret, tout autant que par sa passion immodérée pour les mimosas...
      Une Françoise Rosay aussi digne que vaniteuse, en Lady de style victorien à large poitrine, qui n'a d'imagination que pour sauver la face de son standing et les meubles de son appartement bourgeois...
      Un Jean-Louis Barrault surprenant, inattendu dans le rôle d'un tueur de bouchers, auquel on ne croît guère, mais qui préfigure le maître de la pantomime qu'il sera bientôt dans le brillant et aérien Baptiste des ''Enfants du Paradis''...
      Un morceau de choix : Barrault et Simon en ivrognes occasionnels, quelque peu misogynes et très alcoolisés, finissant la nuit dans une serre, l'un empêtré dans le vélo de l'autre et celui-là, tenant absolument à se transformer en faune aquatique, prenant la pose statuaire, nu comme un ver au retour de Madame... Quelque chose que le comique américain n'avait jamais osé faire, de Buster Keaton à Laurel et Hardy aux énergumènes des Marx Brothers... Génial !
      Et puis, comme la crème sur le lait, qu'il livre par hectolitres, le tendre Billy / J.P. Aumont et sa chérie, deux innocents qui badinent entre le verbe aimer et les intrigues criminelles qu'ils imaginent...
      Bref, une satire délicieuse de la bêtise bourgeoise, adaptable à toutes les époques, à l'opposé du drame populaire tel que les deux complices du réalisme-poétique nous serviront par le suite dans ''Le jour se lève'', ''Quai des brumes'' ou ''Les portes de la nuit''.
      Du talent, rien que du talent... Cuvée 1937, à consommer sans modération, à savourer lentement, si possible plusieurs fois dans une vie de cinéphile, et ce pour que le plaisir dure plus longtemps...
      Garçon ! Un autre SVP !..

 

      Bravo et Merci à l'équipe de la Cinémathèque pour ce programme 2010 / 2011 qui se présente sous les meilleurs hospices...

Yves Gonnord