Charles Tesson est une des plumes des Cahiers du Cinéma depuis plus de 30 ans, avec un passage à la rédaction en chef de 1998 à 2003. Une de ses plumes raffinée, sensible et cultivée.
Professeur d'histoire et d'esthétique du cinéma à la Sorbonne-Paris 3, il est aussi l'auteur d'ouvrages références tels "Luis Bunuel", "Akira Kurosawa", "Abbas Kiarostami", ''Made in Hong-Kong'' (co-écrit avec Olivier Assayas) ou encore ''Satyajit Ray'' (tous publiés aux Cahiers du Cinéma).
Invité justement à présenter « Le salon de musique « de Satyajit Ray le 25 janvier dernier à la cinémathèque, nous avons profité de sa venue pour recueillir quelques pans de ses connaissances sur le cinéma asiatique.

Aurélie Dunouau : Parmi les trois films de Satyajit Ray projetés par la cinémathèque, vous avez opté pour « Le salon de musique ». Pourquoi ce choix ?

Charles Tesson : Tout simplement parce que c'est mon préféré. ''Le Salon de musique'' renvoie à l'histoire de l'Inde, au basculement d'une époque, au début du XXème siècle, la fin des seigneurs et l'arrivée des nouveaux bourgeois. Au coeur de l'histoire, on retrouve un personnage d'aristocrate sur le déclin, amoureux de l'art et de la musique.
C'est un autoportrait de Satyajit Ray non pas en créateur mais en spectateur. Il a une sensibilité d'écoute, il sait recevoir les choses. C'est le double de l'artiste qui avant de créer doit savoir recevoir le monde, s'en imprégner et mémoriser les choses pour ensuite les retranscrire.

A.D. : Comment en êtes-vous venu à vous intéresser au cinéma indien et qu'est-ce qui vous séduit dans ce cinéma ?

C.T. : Il y a deux manières d'aborder les films. Soit on a voyagé, et l'on recherche dans les films le pays perdu. Ou bien le contraire, ce qui est mon cas. J'ai vu les films de Ray, m'y suis intéressé et je suis ensuite allé en Inde ! (Il en a été de même pour la Chine).
La particularité du cinéma indien, son charme, c'est la musique. Beaucoup de cinéastes sont aussi des compositeurs. Je dirai même que la musique est consubstantielle au cinéma indien. D'ailleurs, pour Satyajit Ray, « le cinéma est une architecture dans le temps ».

A.D. : Dans le cinéma hong-kongais, dont vous êtes aussi spécialiste, c'est également une culture particulière que vous recherchez ?

C.T. : Oui, je me suis toujours intéressé à des genres de cinémas qui ne peuvent pas exister à Hollywood. Pour le cinéma hong-kongais en l'occurrence, le kung-fu c'est l'histoire de la Chine, de Shaolin. Les films de kung-fu se situent dans la lignée des films de sabre et de samouraïs. Spécificité du genre : il conjugue dimension sportive et art martial. C'est le seul genre existant à lier les deux. Les gestes du kung-fu s'apparentent à de la calligraphie, à des idéogrammes tracés. Il réunit traditions culturelles, artistiques, historiques... Les premiers films de kung-fu remontent aux années 1922-25.

A.D. : En résumé, vous concevez l'analyse cinématographique à travers le prisme culturel ?

C.T. : Exactement. L'aspect culturel, mais également politique. Comme en Chine où on ne peut voir "L'hirondelle d'or" sans les valeurs confucéennes : loyauté, rapport serviteur-maître,...
Plus récemment, "Les histoires de Schanghaï" de Jia Zhang Ke sont passionnantes dans ce qu'elles disent sur l'éclatement de la diaspora, les mafias, les révolutionnaires...

A.D. : Le Japon vous inspire également dans vos écrits et particulièrement l'un de ses maîtres : Akira Kurosawa. L'association Henri Langlois va d'ailleurs projeter "Barberousse" le 2 mai prochain. Quelle est votre analyse de ce film ?

C.T. : On a découvert le Japon avec Kurosawa ! "Barberousse" reste dans la lignée des films masculins, avec le rapport maître-élève, mais inversé. Ici le maître n'est pas sage mais fou, il soigne des pauvres, et reçoit un jeune homme en formation qui, lui, est plus rangé et ambitionne de soigner des membres du gouvernement militaire.
Ce qui est remarquable dans ce film (et ceux en général de Kurosawa) c'est l'attention portée au métier, ici au monde médical. Il y a une réflexion éthique sur le métier, sa pratique, sa signification. Autre exemple, dans "Chien enragé", il s'intéresse au flic qui perd son pistolet avec une grande pertinence. Encore un métier altruiste.
Une sensibilité qu'il tire aussi probablement de son art de la peinture, il était un très grand artiste peintre. Et en même temps un cinéaste très populaire, le plus populaire des Japonais dans les années 50. Un peu notre Luc Besson à nous.

A.D. : Vous même n'avez-vous jamais été tenté par la réalisation ?

C.T. : Jamais. Pour le cinéma, j'ai écrit un unique scénario avec Suzanne Schiffman pour le film "Corps perdus"de Eduardo De Gregorio, un réalisateur argentin. Ce que je préfère, définitivement, c'est écrire.

 

Propos recueillis par Aurélie Dunouau.