Il est des génériques de films qui nous ont marqué à tel point que c'est d'eux dont on se souvient à la simple évocation du titre. Le rideau se lève alors que les lampes de la salle s'éteignent et que sur l'écran, trois hommes vêtus de longs manteaux, à la mine patibulaire, armés s'avancent dans une gare déserte, au milieu de nulle part. Ils menacent le chef de gare, un vieux fou qui essaie vainement de leur vendre des billets de train. Pas de dialogue, mais des bruits naturels, amplifiés : un moulin qui grince, le vent qui souffle, une goutte d'eau qui tombe à intervalles réguliers sur un chapeau, un personnage qui fait craquer ses articulations, autant de notes d'une partition musicale originale que l'on identifie immédiatement. Le temps s'étire comme ce générique qui égrène sur ces images le titre et les noms des acteurs. Le train finit par arriver et passe sur la caméra : alors le nom du réalisateur, Sergio Leone vient s'imprimer sur le chasse-pierre de la locomotive. Nous sommes happés par ces images et ces sons qui ouvrent ce récit à la manière d'un conte revisité par un réalisateur italien amoureux de l'Amérique. Qui d'entre nous n'est pas retourné voir Il était une fois dans l'Ouest, plusieurs fois, rien que pour son générique ?

 

      Tous n'ont pas cette force et bien souvent les spectateurs négligent le générique dont il convient de reconsidérer la place qu'il occupe dans un film.

 

      Dès ses origines, le cinéma a eu recours à des génériques, souvent succincts et qui au fil du temps ont pris de l'importance. Le cinéma, en quête permanente de reconnaissance s'est toujours défini par rapport aux arts de la représentation reconnus comme le théâtre, l'opéra et ce ne n'est que progressivement qu'il a acquis son autonomie. Comme il leur a emprunté le rideau de scène,pour protéger certainement l'écran des spectateurs trop indisciplinés ou trop impatients, de même il leur doit l'idée du générique pour permettre au réalisateur de revendiquer et faire respecter son droit d'auteur. Si à l'époque de Méliès, le générique se limite au titre et à la signature du réalisateur, bien vite il va prendre de l'importance et refléter l'évolution de l'industrie cinématographique au fur et à mesure que les films vont devenir plus longs, plus ambitieux et nécessiter davantage de moyens techniques et financiers. Les noms des artistes puis des techniciens et enfin des producteurs vont venir s'ajouter et allonger la durée de ce qui au début du cinéma se limitait à un seul carton. C'est ainsi que le générique va prendre de l'importance et les réalisateurs vont devoir repenser sa mise en scène pour répondre à l'impatience des spectateurs. Au texte vont venir s'ajouter des images puis des sons et comme une ouverture à l'opéra où le compositeur juxtapose les différents thèmes qu'il va développer dans son oeuvre, le générique va devenir un genre cinématographique à part entière, un élément important dans la perception du film.

      Si l'on admet que le mot générique contient l'idée d'engendrement, on peut dire alors qu'il équivaut à une mise en abîme du récit, une sorte de micro-récit qui se définit par une intrigue de prédestination. En un mot, le générique contient tout se qui sera développé dans le film.

      Trois éléments le constituent : l'image, le son et l'écriture, autrement dit, le visible, l'audible et le lisible. Ces trois composantes se superposent avec des orientations bien définies.

      a) le lisible : c'est le titre du film qui crée une attente par rapport à sa propre narration. Le titre, Les Camarades, ce film de Mario Monicelli que nous avons vu récemment, nous oriente vers un film à caractère politique où le socialisme, la lutte sociale vont être des thèmes majeurs. Nous pouvons affirmer que le contenu sémantique du titre crée une attente narrative. Ce titre ne pose pas de problème spécifique dans la mesure où nous ne notons aucun écart entre le titre français et le titre original, en italien. Il n'en va pas toujours de même. La traduction nous induit souvent vers d'autres voies du fait de ces écarts avec le titre original.
Le film de John Ford, The Searchers devient en français, La prisonnière du désert. Le titre américain met l'accent sur la quête de deux personnages principaux, Ethan et Martin Pawley, interprétés respectivement par John Wayne et Jeffrey Hunter, qui errent pendant sept ans à la recherche de la jeune Debbie, interprétée par Nathalie Wood, enlevée par les Comanches. Le titre français recentre davantage notre attention sur l'objet de leur quête, à savoir la jeune fille qu'Ethan veut tuer parce qu'il ne peut admettre, ce qui relève pour lui d'un interdit, qu'une femme blanche puisse avoir une relation sexuelle avec un Indien.

      Puisque nous évoquons un western célèbre, rappelons que le graphisme choisi relève d'un effet genre facilement identifiable... De même les films d'horreur s'annoncent avec des lettres décomposées qui ne sont pas sans rappeler ces morts vivants qui hantent nos imaginaires de spectateurs.

      b) le visible : Au début du cinéma, le visible se limitait à un écran noir sur lequel venaient s'inscrire le titre et le nom des personnages.

      Puis une image fixe est venue se substituer à cet écran noir. Dans M le Maudit, de Fritz Lang, la lettre M inclinée sur la gauche, déchirée, comme une marque d'anormalité semble inscrite à la craie sur le sol sur lequel se projette une ombre noire, elle-même inclinée sur la gauche et déchirée. Cette superposition entre un signifiant et un signifié annonce le monstre désigné par cette même lettre M qu'un de ses poursuivants inscrira à la craie sur son dos pour le désigner à la vindicte populaire.

      À partir des années 40, des images animées finiront par s'imposer jusqu'à constituer un film dans le film, avec son scénario propre et son réalisateur. C'est ainsi qu'Hitchcock dont nous retenons un certain nombre de génériques fort célèbres avait recours aux services de Saul Bass, graphiste célèbre, celui-là même auquel Martin Scorsese confie le générique de Casino. On voit une silhouette parcourir l'écran de bas en haut au son de la Passion selon Saint Matthieu de Jean-Sébastien Bach, avant de sombrer au bas du cadre dans une rangée de flammes qui évoquent l'enfer. Cette image de la Chute qui hante bon nombre de films de Martin Scorsese, nourri au mysticisme d'une éducation religieuse déterminante, parcourt tout son récit, à la voix off, où ses personnages, plongés au coeur de Las Vegas, du jeu et du crime, nouvelle Babylone, sont condamnés à la déchéance et à la dislocation.

c) L'audible :
      La présence de cette voix off et de la musique dans le film de Martin Scorsese nous permet d'appréhender la troisième composante du générique à savoir : l'audible qui se limite très souvent à la musique.
      Le film de Mario Monicelli, Les camarades, s'ouvre sur une musique entraînante de Carlo Rustichelli, compositeur célèbre de musiques de film, la marcia della cinghia qui reprend le style des chants ouvriers, en lien bien sûr avec le récit lui-même. Il ne s'agit pas d'une musique orchestrale qui aurait tiré le film vers la fiction mais plutôt un chant choral d'ouvriers en lutte à l'époque où se situe le récit, à la fin du XIXème siècle, accompagné d'un instrument des plus populaires, l'accordéon. Ainsi cette musique que le film va reprendre à chaque articulation de sa narration annonce le caractère choral du film et souligne la volonté du réalisateur d'ancrer son récit dans une réalité documentaire.
      Rares sont les génériques parlés, c'est-à-dire où l'audible est porté essentiellement par la parole. Bien sûr nous pouvons citer le film de Sacha Guitry dans Si Versailles m'était conté où la voix de l'auteur énonce les noms de toutes les personnes engagées, à titres divers, dans la réalisation de son film. Rien de surprenant de la part d'un réalisateur qui n'a jamais laissé passer la moindre occasion de se mettre en scène, mais toujours avec génie.
      Plus proche de nous, Jean-Luc Godard dans Le Mépris remplace l'écrit par le parlé. Sur des images montrant une caméra, un cadreur et son équipe, une voix, celle de Godard ou d'un imitateur, énonce les noms des différents participants à ce tournage, sans aucune hiérarchie en usant de formules présentatives comme: « il y a.... » ou bien « c'est un film de .... ». À cet énoncé qui dévalorise le générique, s'ajoute une citation d'André Bazin : « le cinéma substitue à notre regard un monde qui s'accorde à nos désirs » et la voix de conclure « le Mépris est l'histoire de ce monde ». Ainsi Jean-Luc Godard parvient-il à présenter son film, mais bien au-delà à définir sa conception du cinéma, aux antipodes du cinéma classique, un cinéma conçu comme à la fois un art et une industrie qui procède d'une illusion. C'est pourquoi dès le générique, il met en scène le contexte de la réalisation comme pour affirmer sa conception du cinéma, pour revendiquer sa modernité et afficher sa singularité.

      Entre les génériques des premiers films qui se limitaient à deux ou trois cartons qui n'étaient pas sans nous rappeler le théâtre, et ceux d'aujourd'hui d'une longueur démesurée, vient s'inscrire toute l'histoire du cinéma dans ses composantes techniques, économiques et esthétiques. D'où leur importance !

Louis D'Orazio