Tout au long du film, le jeune Yasumoto, frais émoulu de l'école de médecine de Nagasaki, va s'initier à l'exercice de sa discipline et découvrir le monde de son époque (début du XIXème siècle sous le Shogunat Tokugawa) auprès de son Maître, le directeur de l'hôpital public d'Edo : Kyojo Niide dit Barberousse.

      Sous la houlette de Barberousse, violent, obstiné et autoritaire, lui qui se voyait médecin auprès des grands personnages du Shogunat, va être confronté aux gens les plus humbles, aux cas les plus difficiles et il parviendra à comprendre l'importance du travail de son Maître.

      Par orgueil, il commencera par se tromper et à surestimer ses capacités professionnelles auprès d'une belle femme enfermée et folle, puis, devenu plus humble, il découvrira la mort et les drames familiaux auprès d'un père bafoué par sa femme et dont sa fille fut victime, la folie amoureuse avec un vieil homme fou de son épouse, la prostitution frappant parfois les plus jeunes enfants, la faim et le suicide collectif d'une famille et à travers la maladie, celle d'une jeune femme et la sienne propre, l'amour humain le plus beau.

      Mais c'est le comportement de Barberousse et son humanité généreuse, désintéressée, altruiste, mais aussi sa rudesse et sa ruse, tout cela camouflé sous un caractère impossible, qui lui révéleront les véritables richesses de son travail. Il découvrira la force qui est nécessaire pour demeurer juste et honnête, pour agir vraiment sur les misères sans fin de la condition humaine et soulager vraiment la détresse.

     Lorsque devenu un personnage important par son mariage avec une de ses patientes, alors qu'il pourrait enfin être affecté au Shogunat, il choisira de rester avec Barberousse au contact du peuple et de ses misères.

      Barberousse est l'un des films les plus ambitieux de Kurosawa. Tourné en cinémascope, dans le décor d'un village entièrement reconstitué, il distille une saine jubilation (revoir Mifune rossant les sbires des proxénètes) et saisit le spectateur d'un intense sentiment de grandeur et de noblesse. Car comme dans ''Vivre'', ''Dersou Ouzala'' ou "Kagemusha'' c'est bien de noblesse, physique et morale, dont veut nous parler Kurosawa.

      Barberousse est un Maître dont l'humanité tend à rejoindre la figure du sacré, cette perfection dans l'action qui est un des fondements de la vision traditionnelle shintoïste, cette morale de Samouraï que Kurosawa apprit certainement de son père. On ne peut qu'être fasciné par cette grande figure symbolique, modèle de l'homme ''humaniste'', le chef, le ''Sanseï''. Le Japon du XIXème siècle qui nous est montré est une fresque sociale d'où surgissent des récits picaresques et édifiants. Et de la morale surgit la beauté et l'émotion.

Alain Jacques Bonnet