Denis Jourdin, l'alliance des Arts 

      Qui n'a pas un jour croisé le lundi soir à la séance de la cinémathèque des étudiants esquissant quelques traits d'une scène de film, un calepin posé sur leurs genoux ? Depuis quatre ans, ces jeunes de l'École des Beaux-Arts investissent les lieux dans le cadre de leur cursus. Cette présence, ils la doivent à un homme : leur professeur : Denis Jourdin. Enseignant l'histoire de l'art à Tours, ce passionné de cinéma communique son goût et son regard artistique à ses étudiants d'une manière innovante et créative. Il est aujourd'hui devenu un des personnages incontournables des soirées Cinémathèque et présentera Le Plaisir de Max Ophuls le lundi 23 mai.

Aurélie Dunouau : Les étudiants assistent aux séances et en retour ils produisent des dessins. Comment vous est venue l'idée de cette collaboration originale avec la cinémathèque ?

Denis Jourdin : Quand je suis arrivé à Tours il y a 12 ans, j'ai très vite remarqué les cinémas Studio et la Cinémathèque. Je me suis dit qu'il était intéressant d'établir une relation entre la Cinémathèque et l'École des Beaux-Arts. J'ai donc incité mes étudiants à y aller voir des films... Mais il faut avouer que peu d'entre eux ont suivi ce conseil. Il fallait donc trouver une astuce. Au fil du temps, j'ai établi des relations avec la Cinémathèque jusqu'à ce que je parvienne à cette idée : il fallait que les films programmés à la Cinémathèque fassent partie des cours.
Ainsi, les étudiants de 1ère année se rendent obligatoirement et gratuitement à chaque séance en échange d'un dessin. Sur chaque film, ils tentent de capter une image, à partir d'une ou de plusieurs scènes, cette image ils la dessinent soit sur l'instant, soit ils la reconstituent plus tard, de mémoire.

A.D. : Quel est l'objectif pédagogique de ce travail ?

D.J. : La relation entre dessin et cinéma est très riche, féconde. Il s'agit de transposer un médium dans un autre, ce qui permet aux étudiants d'obtenir une certaine audace graphique qu'ils ne pourraient pas avoir autrement.
La question du point de vue est intéressante : il y a 25 étudiants et 25 façons de voir le film. On perçoit bien ce que chaque étudiant a capté du film.
À la fin de l'année, ils sont récompensés par une projection spéciale : tous les dessins sont traditionnellement regroupés dans un film en 1ère partie de la dernière séance de la saison de la cinémathèque (à voir le 6 juin). C'est comme une rétrospective de l'année, un retour fait au public.

A.D. : Avec ce travail, le rapport des étudiants aux films dits du patrimoine a-t-il positivement évolué ?

D.J. : Il est vrai que généralement cette culture n'est pas très fréquentée par les étudiants. J'ai essayé d'impulser quelque chose sur la durée. En toute honnêteté, certains continuent dans cette voie, d'autres pas.
Avec ces films qui ne sont pas dans l'immédiateté, les 20-25 ans ont un rapport différent. Ils remarquent par exemple que beaucoup de films actuels sont en fait des remakes tirés de classiques. Cela donne une épaisseur à leur regard.
Ils sont peut-être plus inspirés par les films fantastiques. L'an dernier, Nosferatu et M. le Maudit leur avaient plu et inspiré de beaux dessins.

A.D. : Seconde facette de votre collaboration avec la cinémathèque, vous présentez certaines séances. Le 23 mai, ce sera Le plaisir de Max Ophuls.

D.J. : Ophuls est un réalisateur très subtil sur le fond et la forme, dans le déplacement de la caméra, très fluide. Tout semble aller de source, couler sans difficultés. Même les drames les plus forts, sont toujours légers. Dans Madame de, une phrase résume bien son cinéma : « Nous sommes superficiellement superficiels ».
Dans Le Plaisir, cette adaptation de nouvelles de Maupassant (encore un passage d'un médium dans un autre), il est question du double, de la mort, de l'amour... mais tous ces éléments dramatiques sont abordés très subtilement, légèrement. Dans la 1ère partie, il filme l'homme qui ne veut pas vieillir avec entrain, sans pathos, la caméra se balance comme une sorte de balai suivant la dimension effrénée de la vie. C'est de la gravité légère.
L'intérêt de la transposition c'est qu'Ophuls réinterprète le drame de Maupassant d'une manière encore plus forte à mon sens. Les étudiants effectuent le même travail en donnant leur point de vue sur le cinéma par un dessin. Pour les peintres, la question du récit est aussi importante. J'ai travaillé au centre Pompidou à Beaubourg sur un programme faisant les liens entre les collections picturales et cinématographiques.
Croiser les médiums permet d'avoir un regard sur ce que l'on vit. D'ailleurs lors de la dernière édition du festival du Réel à Paris le mois dernier, j'ai amené 6 étudiants, toujours pour rendre compte des films par le dessin.
A cette occasion j'ai déclaré : Comment trouver un langage graphique capable de réinventer « la vérité 24 fois par seconde » comme le dit J.L. Godard ? C'est cette réflexion menée avec les étudiants des Beaux Arts de Tours depuis 4 ans sur ''dessiner le cinéma'' qui s'est trouvée enrichie et amplifiée grâce à l'immersion totale au sein du festival du Réel.
Dans cette plongée documentaire, chaque étudiant a retranscrit des instants et a composé une écriture du souvenir. Une façon de dessiner dans l'éclair de la pensée, une sorte de ''witz'' cinématographique.
Dans l'espace clos de la salle, le dessinateur s'est glissé dans la lumière de chaque film pour inventer des graphies et saisir le monde avec quelques gris, quelques noirs, et faire du mouvement des images, un arrêt dessiné.

Propos recueillis par Aurélie Dunouau

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Qui n’a pas un jour croisé le lundi soir à la séance de la cinémathèque des étudiants esquissant quelques traits d’une scène de film, un calepin posé sur leurs genoux ? Depuis quatre ans, ces jeunes de l’École des Beaux-Arts investissent les lieux dans le cadre de leur cursus. Cette présence, ils la doivent à un homme : leur professeur : Denis Jourdin. Enseignant l’histoire de l’art à Tours, ce passionné de cinéma communique son goût et son regard artistique à ses étudiants d’une manière innovante et créative. Il est aujourd’hui devenu un des personnages incontournables des soirées Cinémathèque et présentera Le Plaisir de Max Ophuls le 27 mai.

 

Aurélie Dunouau : Les étudiants assistent aux séances et en retour ils produisent des dessins. Comment vous est venue l’idée de cette collaboration originale avec la cinémathèque ?

 

Denis Jourdin : Quand je suis arrivé à Tours il y  a 12 ans, j'ai très vite remarqué les cinémas Studio et la Cinémathèque. Je me suis dit qu'il était intéressant d'établir une relation entre la Cinémathèque et l'École des Beaux-Arts. J'ai donc incité mes étudiants à y aller voir des films... Mais il faut avouer que peu d'entre eux ont suivi ce conseil. Il fallait  donc trouver une astuce. Au fil du temps, j'ai établi des relations avec la Cinémathèque jusqu'à ce que je parvienne à cette idée : il fallait que les films programmés à la Cinémathèque fassent partie des cours.

Ainsi, les étudiants de 1ère année se rendent obligatoirement et gratuitement à chaque séance en échange d'un dessin. Sur chaque film, ils tentent de capter une image, à partir d'une ou de plusieurs scènes, cette image ils la dessinent soit sur l'instant, soit ils la reconstituent plus tard, de mémoire.

 

A.D. : Quel est l'objectif pédagogique de ce travail?

 

D.J. : La relation entre dessin et cinéma est très riche, féconde. Il s'agit de transposer un médium dans un autre, ce qui permet aux étudiants d'obtenir une certaine audace graphique qu'ils ne pourraient pas avoir autrement.

La question du point de vue est intéressante : il y a 25 étudiants et 25 façons de voir le film. On perçoit bien ce que chaque étudiant a capté du film.

À la fin de l'année, ils sont récompensés par une projection spéciale : tous les dessins sont traditionnellement regroupés dans un film en 1ère partie de la dernière séance de la saison de la cinémathèque (à voir le 6  juin). C'est comme une rétrospective de l'année, un retour fait au public.

 

A.D. : Avec ce travail, le rapport des étudiants aux films dits du patrimoine a-t-il positivement évolué ?

 

D.J. : Il est vrai que généralement cette culture n'est pas très fréquentée par les étudiants. J'ai essayé d'impulser quelque chose sur la durée. En toute honnêteté, certains continuent dans cette voie, d'autres pas.