Cette saga familiale tragique, ciselée dans une veine proche des « Contes de la lune vague après la pluie », est une réussite presque parfaite ...
      Certes, il n'est pas toujours facile d'accéder au contexte du film japonais ...
      Difficile parfois de saisir les sentiments derrière les visages impassibles, voire fermés de ces gens, car c'est bien là qu'il faut être attentif aux moindres changements expressifs, mimiques, rictus des lèvres, brusqueries gestuelles et vocales, lire entre les lignes des dialogues les volontés suggérées et les ressentiments cachés, parce que pudiques à l'excès, l'essentielle vertu asiatique étant de « ... ne pas perdre la face »...

      Il faut patienter un moment, puis se laisser aller pour entrer dans un rythme qui lui est propre...

Mizoguchi n'était pas Kurosawa le « samouraï historique » et encore moins Ozu le « sociologue-romancier » du quotidien moderne ...
      Il était un conteur-poète, un peintre d'estampes animées ...(ce que le meilleur du dessin animé japonais d'aujourd'hui a parfaitement réussi avec ce nouveau mode d'expression). Dommage, à un an près, 1955, qu'il n'ait pas joué la palette du technicolor qui avait déjà révolutionné le monde du cinéma (son 1er film en couleur, L'Impératrice Yang Kwei Fei, est un petit bijou esthétique) car alors, les paysages choisis pour magnifier cette saga en auraient fait un petit chef-d'œuvre picturo-cinématographique.

      Cependant, il n'y a rien à regretter ici, car l'intensité de l'histoire reste soutenue au fil des péripéties par le jeu serré et sincère des acteurs, enrobé dans un jeu d'ombres et de lumières aux contrastes subtils digne d'Hiroshige ou d'Hokusai.

      Apologie du sacrifice, celui de l'honneur, et celui du corps lorsque c'est nécessaire, cette tragédie nippone des temps féodaux nous apprend qu'au Pays du Soleil Levant, le sens de la dignité de la personne humaine valait plus que richesse et gloire, ce que certains shoguns modernes ont, semble-t-il, sacrifié sur l'autel du « veau d'or de la haute technologie »...

Yves Gonnord