L'historien romantique du cinéma

Mémoire encyclopédique des grands réalisateurs, Alain Bonnet, appartient lui-même à l'histoire de la cinémathèque Henri Langlois. Il fit partie des 1ères aventures du ciné-club du Beffroi, dans les années 70, au côté de son créateur, Lionel Tardif. S'il a perdu de vue la cinémathèque quelques années pour cause d'éloignement professionnel, point d'infidélités, puisqu'il s'y réinvestit de plus belle à la retraite, écrivant aujourd'hui un nouveau chapitre de l'association des amis de la cinémathèque avec le lancement de Cinéfil, journal que vous avez entre les mains depuis bientôt un an. Et en plus, au milieu de tout cela, il trouve le temps de présenter chaque année des soirées à la cinémathèque.

Aurélie Dunouau : C'est une longue histoire que vous entretenez avec le cinéma, à Tours...

Alain Jacques Bonnet : Oui, ça remonte à l'adolescence, dans les années 60, avec une petite bande de copains (dont Lionel Tardif, Philippe Petit, François Leconte etc...), nous fréquentions assidûment les trois ciné-clubs de la ville, le festival du court métrage,.. et la vingtaine de salles qui existaient alors à Tours. Tout cela constituait un pôle d'attraction très fort pour ceux qui aimaient le cinéma.
Et puis nous sommes passés à la pratique, en tournant des courts métrages. Lionel a trouvé un producteur, Philippe a fait une carrière à la télévision, François est devenu chirurgien... Et moi je suis parti travailler dans un tout autre secteur à Paris !

AD : L'aspect histoire du cinéma est fondamentale pour vous qui constituez des archives ?

AJB: En effet, j'ai toujours été attentif à ce qui se faisait, se produisait, avec l'aide des revues spécialisées; à 16 ans je lisais Positif, Les Cahiers du cinéma, Image et son, etc. Des revues que j'ai pieusement conservées, et qui constituent une bibliothèque de référence, tout comme je répertorie les films vus. J'ai besoin de fixer les choses dans l'histoire et dans mon histoire, j'aime comprendre pourquoi j'aime ou je n'aime pas tel film. Depuis que j'ai le temps, j'ai commencé à écrire sur le cinéma, je prépare d'ailleurs un livre sur certains de mes réalisateurs préférés, mais en dilettante !

AD : Justement, quels sont les grands réalisateurs qui vous ont marqué, quel type de cinéma vous touche ?

AJB : Je suis très amoureux du cinéma américain des années 30. Je trouve que c'est une période très riche : il y avait des mélodrames, du fantastique, de l'aventure, de l'imagination et de l'imaginaire. L'image de cette époque n'était pas lisse comme aujourd'hui. Elle gardait des zones d'ombres qui stimulaient l'esprit. Pour moi, le cinéma est indissociable d'une dimension
onirique qui lui est propre. L'un des plus grands réalisateurs est pour moi Franck Borzage. Mais dans cette période, il y eut aussi Eisenstein, Barnet, Murnau, Capra, Schoedsack, Sternberg, ...Et Bunuel, Lang, Vigo... Bref c'est là tout un cinéma de création et de reconstruction poétique... Pour moi, la découverte d'univers formels et sémantiques riches et profondément personnels .Mes grandes émotions de cinéma viennent de là.

AD : Vous avez lancé Cinéfil voilà presque 1 an. Quelles étaient vos motivations ?

AJB : Avec le changement de statut de la cinémathèque, l'association s'est retrouvée sans pouvoir réaliser ce pour quoi elle avait été créée: la projection de films. Il fallait donc se lancer dans autre chose et ça a pris la forme d'une revue, avec deux supports :
papier et web. C'est pour nous le moyen de continuer à s'exprimer sur le cinéma mais par un autre biais. L'autre objectif est de créer un réseau des amis de la Cinémathèque qui veulent défendre le bon et vrai cinéma.

AD : Selon vous, qu'apporte Cinéfil de plus ou de différent dans le paysage déjà chargé des revues de cinéma ?

AJB: Comme Cinéfil est plus ou moins lié au programme de la cinémathèque, il permet d'apporter une connaissance approfondie de l'histoire du cinéma et des grands réalisateurs qui l'ont marquée. C'est une revue d'histoire du cinéma, on y trouve très peu de choses liées à l'actualité. C'est plus une référence historique qu'une revue critique, car de cela, nous n'en manquons pas. Par exemple, sur les derniers numéros, nous avons écrit sur Bunuel, Carné, Hitchcock, Rohmer, Von Stroheim, Kurosawa, Renoir, Powell, Minnelli... On essaie de jeter un regard original sur les grands créateurs cinématographiques, ceux qu'on aime, en se conservant un petit volet polémique pour entretenir la vie de la revue.

Propos recueillis par Aurélie Dunouau