Bel hommage que celui rendu par la petite fille du réalisateur marseillais Paul Carpita à l'occasion de la projection de son film phare Le Rendez-vous des quais (1953-55). Venue présenter la séance le 7 novembre, Anaïs Carpita, elle-même jeune scénariste, s'est montrée intarissable sur l'histoire de ce film incroyable, censuré pendant 35 ans, parce qu'il témoignait des mouvements ouvriers de l'époque et du refus de la guerre en Indochine. Un film militant et engagé, financé par le Parti Communiste, qui a valu à Paul Carpita de mettre sa carrière de réalisateur entre parenthèses (quatorze films à son actif tout de même dont pas mal de courts-métrages) pour se consacrer à son autre passion : l'enseignement. On ne sort pas indemne d'une telle histoire familiale et c'est donc Anaïs, chez les Carpita, qui a repris le flambeau du cinéma en devenant scénariste. Avec comme héritage : le sens du récit, de l'Histoire et des histoires humaines.

Aurélie Dunouau : Qu'est-ce que ça représente pour vous de venir présenter le film de votre grand-père qui témoigne d'une époque lointaine et différente ?

Anaïs Carpita : Ça permet de faire découvrir ou redécouvrir ce film qui a été censuré, qui disparaît, que l'on croyait détruit, et qui finalement fut retrouvé à la fin des années 80 aux archives du Bois d'Arcy. Je suis née en 1983 et j'ai grandi avec la légende de ce film, disparu puis retrouvé. En outre, la cinémathèque m'a permis de choisir de présenter un court métrage Des lapins dans la tête qui était son préféré, qu'il a tourné avec ses élèves, et à partir duquel il projetait de tourner un long-métrage.

AD : Est-ce votre grand-père qui vous a donné envie de faire du cinéma ?

Anaïs Carpita : Même si je préfère le scénario et n'ai pas de velléités de réalisation, il m'a fortement influencée. Dans mon travail, j'ai toujours en tête cette phrase que Ken Loach a dite sur mon grand-père « Il a une manière de mettre la caméra à hauteur des gens ».

    Ce qui est touchant aussi, ce sont les liens communs que nous avons. Le réalisateur Pascal Tessaud, avec qui je collabore et qui représente pour moi un coup de foudre amical, a fait un film engagé qui correspond à l'esprit de mon grand-père. Il est d'ailleurs auteur du livre Paul Carpita, cinéaste franc-tireur. Il y a des filiations évidentes avec mon grand-père. Egalement avec Bania Medjar (Des enfants dans les arbres) qui tourne à Marseille, dans les quartiers de banlieue, dans la lignée du Rendez-vous des quais. Là où mon grand-père enseignait et tournait ses films...

AD : Pourquoi votre choix s'est t-il porté sur le scénario ?

Anaïs Carpita : Depuis toute petite, j'écris des histoires. Mon grand-père m'a encouragée puis a eu peur quand je me suis engagée dans de longues études sur le cinéma : j'ai fait un master puis la FEMIS. Il craignait que je devienne formatée, bridée, lui qui pratiquait le cinéma en autodidacte et a tout appris sur le terrain. En tant que scénariste ce qui m'intéresse, c'est me fondre dans l'univers d'un réalisateur, l'aider à construire son histoire. Aujourd'hui, je collabore en écriture sur 3 longs-métrages dont une comédie Mariage à Mendoza qui se passe en Argentine (du réalisateur Edouard Deluc). J'adapte les dialogues d'un autre scénario sur un père et son fils dans le milieu de l'architecture (réalisation Bania Medjar).

AD : Et qu'en est-il de vos projets personnels ?

Anaïs Carpita : J'ai deux projets de longs métrages : une comédie Ma mère s'appelle Ninja qui a été sélectionné au festival international des scénaristes de Bourges et un film écrit pendant mes études L'oiseau sans pattes qui a obtenu le prix Junior du meilleur scénario. Il raconte, dans le Paris des années folles, la rencontre entre le poète Jean Cocteau, la trentaine
entamée et l'adolescent Raymond Radiguet, 15 ans, prodige annoncé de la littérature. Pour ces deux projets, je cherche des producteurs. Je travaille également pour la télévision, des comédies, des sketches, des séries. C'est un milieu plus facile pour débuter que le cinéma. Dans le cinéma, ça prend des mois voire des années avant de gagner sa vie. En plus, pour les scénaristes, c'est particulier, il n'existe pas de statut d'intermittent.

AD : Comment procédez vous ? Vous proposez des scénarios clés en main ou bien vous écrivez à posteriori, une fois la collaboration définie ?

Anaïs Carpita : Le plus souvent, on trouve un réalisateur par l'intermédiaire d'un producteur. Il est rarissime de vendre son scénario abouti, fini. Il faut présenter des projets. Pour le moment, comme je débute, j'ai toujours été appelée en cours d'écriture, sur l'idée de film d'un réalisateur. Par exemple sur le film d'Edouard Deluc qui va se tourner l'hiver prochain en Argentine, je suis arrivée en fin d'écriture, en complément. Je retravaille les dialogues. Ça fonctionne comme une partie de tennis avec le réalisateur pour modifier les scènes et les textes. On se renvoie la balle. J'aime bien être une éponge, regarder et écouter le réalisateur pour pouvoir ensuite lui proposer quelque chose.

Propos recueillis par Aurélie Dunouau

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